«La distance entre moi et moi» …
Un film dune heure trente qui arrive à retracer lhistoire dune vie complexe, en accompagnant dans le même temps son héroïne, Nina Cassian, dans le questionnement des choix quelle avait faits dans la vie.
Corina Sabău, 31.08.2019, 13:06
Un film dune heure trente qui arrive à retracer lhistoire dune vie complexe, en accompagnant dans le même temps son héroïne, Nina Cassian, dans le questionnement des choix quelle avait faits dans la vie.
Après sa première internationale au Festival de film de Trieste, en Italie, « La distance entre moi et moi », un documentaire réalisé par Mona Nicoară et Dana Bunescu sur la poète roumaine Nina Cassian, est sorti début mars dans les salles de Roumanie. « A la réputation de femme-fatale, buveuse et fumeuse, la poète de lavant-garde, la compositrice et la graphicienne Nina Cassian (1924-2014) a été simultanément complice et problème pour le régime staliniste. Elle est ensuite entrée en conflit direct avec le régime Ceauşescu et elle a fini par devoir sexiler à New York en 1985, suite au meurtre du dissident Gheorghe Ursu », racontent les deux réalisatrices du film. Nous avons invité Mona Nicoară et Dana Bunescu à Radio Roumanie Internationale pour échanger autour de leur documentaire. Le film, produit par Hi Film Productions de Roumanie et Sat Mic Film des Etats-Unis, en coproduction avec la Télévision publique roumaine, a provoqué beaucoup de réactions en Roumanie à cause de lhistoire compliquée de la poète. Cest pour cette raison que la partie formelle du documentaire a souvent été mise de côté.
Le tournage a commencé en 2013, quand Mona Nicoară a commencé à filmer Nina Cassian dans son appartement new-yorkais. La recherche documentaire sest prolongée jusquen 2014 et cest seulement un an plus tard, en 2015, qua été obtenu le gros du financement. Tout le long du film, Nina Cassian parle de sa poésie, des raisons qui lont poussée à adhérer au mouvement communiste, des déceptions que le régime Ceauşescu lui a causées. Une des critiques faite aux deux réalisatrices du documentaire est davoir transformé une écrivaine prolétarienne en une icône. Cela, alors que Nina Cassian, à part quelques ouvrages des années 50 où elle exprimait ses convictions politiques, a publié plus de 20 recueils de poésie et autant de livres pour enfants. Mona Nicoară :« Je ne pense pas que nous ayons réussi à transformer Nina en une icône, elle létait déjà et ce depuis longtemps. Elle était très connue dans la communauté gay, par exemple, elle y était perçue comme une de leurs grandes alliées. Elle était présentée, dans les manuels scolaires ou à la télé, comme une autrice pour enfants ou comme une poète prolétarienne. Selon la situation, tout le monde se concentrait sur un autre aspect, une autre facette de sa personnalité. Ce qui nous intéressait cétait justement de rassembler toutes ces tentatives de présentation de Nina, de voir comment tous ces visages se réconcilient. Par ailleurs, elle-même était très critique par rapport à tous ces essais de représentation. »
« La distance entre moi et moi » nest pas un film-testament. Selon Mona Nicoară, tout ce que Nina Cassian avait à dire, à justifier, à expliquer, elle lavait déjà fait figurer dans ses mémoires. Toutefois la poète avait aimé lidée dun film qui rassemble des fragments de son passé pour les confronter au présent. Mona Nicoară :« Ce qui mintéressait dans la réalisation de ce documentaire était de voir ce qui se trouvait derrière ce syntagme qui donne le titre du film et que jai trouvé dans ses mémoires, « la distance entre moi et moi ». Je voulais voir comment quelquun avec une histoire personnelle complexe gère son passé. Je mattendais à une relation compliquée entre les archives et ses souvenirs personnels et je ne savais pas comment nous allions gérer cela. Mais, dans le même temps, notre intention était de la mettre elle en relation avec ces archives. Dun autre côté, quand tu commences à travailler sur un film, il y a toujours une part dinconnu, tu ne sais jamais où ça te mènera et la tendance est daccumuler le plus de matière possible. Ainsi, à part les interviews qui constituent la base du film, javais dautres choses que je pouvais utiliser : des documents darchives sans lien direct avec Nina, des rushes réalisés à New York et à Bucarest avec Ovidiu Mărginean et Rudolf Costin, surtout avec des cadres dextérieur. Dana Bunescu ma persuadé de renoncer à ces bandes, et elle a eu raison de le faire. Cest grâce à Dana que je suis arrivée à cette simplicité formelle apparente qui a fait que le film devienne ce que je voulais : un film sur la relation de Nina Cassian avec elle-même. »
Mona Nicoară a essayé plusieurs formats avant darriver à la forme finale du film. Avec Dana Bunescu, elle sest arrêtée à cette structure très simple, qui retrace la chronologie dune vie. Dana Bunescu :« Le film a pris forme après maintes discussions sur tout le matériel que nous avions. Et il y en avait beaucoup : le tournage réalisé par Mona en 2013, linterview-même avec Nina ; ensuite, les recherches réalisées auprès du Conseil national pour létude des archives de la Securitate et des Archives dEtat. Il y avait aussi les archives de la télévision publique roumaine et les Archives nationales du film. Mona connaissait déjà tout ça, nous avons à nouveau tout regardé ensemble et nous avons ensuite beaucoup discuté sur ce quon garde et sur comment organiser cette matière. A partir dun certain moment il y a eu beaucoup de tentatives de notre part de mettre de lordre dans tout ça, pour que notre histoire soit plus efficace, plus claire, mais pour quelle laisse aussi la place à des questions. La partie la plus difficile a été, probablement, dinsérer dans le film le dossier des Archives de la Securitate. Cela faisait apparaître une troisième voix dans le documentaire, celle dune personne inconnue, mais qui avait existé dans la vie de cette personne. »
Dana Bunescu a aussi évoqué quelques réactions générées par le film :« Jai été ravie de voir des jeunes gens venir voir le film. Des jeunes qui ne savaient pas très bien ce quils allaient voir, mais que jai entendu discuter après les projections : ils voulaient chercher les livres de Nina Cassian. Rien ne ma autant émue. » a conclu Dana Bunescu, qui a réalisé, avec Mona Nicoară, le documentaire « La distance entre moi et moi ».(Trad. Elena Diaconu)