La 6e édition du festival Temps d’images
Luana Pleşea, 30.11.2013, 14:18
Théâtre, danse, vidéo — Temps d’images, c’est un festival ciblé sur la mission sociale de l’art. Miki Branişte est la présidente de l’Association ColectivA et directrice du festival : «Le Festival a démarré d’une manière un peu différente en 2008 et je crois que la direction actuelle s’est dessinée avec le temps. Trois éditions se sont avérées nécessaires pour nous rendre compte où nous en sommes. Un déclic s’est produit en 2011. Les mouvements sociaux dans le monde arabe m’ont beaucoup touchée. Je me suis rendu compte que l’on était témoins de moments très importants et que les changements qui avaient lieu allaient mettre leur empreinte sur l’histoire. C’est pourquoi notre démarche devrait refléter, à l’aide des artistes invités, ce moment crucial pour notre avenir. C’est pourquoi les thèmes abordés relèvent plutôt du domaine social, des changements économiques et politiques qui nous concernent tous. Je pense que l’art peut proposer une perspective nouvelle sur ce que nous considérons d’habitude comme un travail de Sisyphe ».
Déroulé en novembre, à Cluj, dans le centre-nord du pays, le Festival, à sa 6e édition en Roumanie, a une histoire plus longue dans le paysage européen. Sa création en 2002, on la doit à la chaîne de télévision ARTE et à la Ferme du Buisson — La scène nationale Marne-la-Vallée de France. Le long des années, le projet Temps d’images, soit un festival de théâtre, danse et images photo et vidéo s’est élargi à 10 pays, – Belgique, Estonie, France, Allemagne, Italie, Portugal, Pologne, Roumanie, Hongrie et Turquie.
Chaque édition du festival organisée en Roumanie a proposé des thèmes différents, s’inspirant des réalités sociales et renvoyant tous à un fil rouge. Miki Braniste : «Si en 2012, le festival a parlé de l’avenir, en 2013 le sujet central a été la solidarité. Les discussions, l’année dernière, avec les artistes et le public ont abouti à la conclusion que l’on ne peut rien faire dans ce monde si on est seuls, et qu’il faut agir ensemble. Je me rends compte qu’il faut aller au delà du concept de solidarité et chercher les causes pour lesquelles on pourrait être solidaires. J’aimerais par exemple inviter des artistes du Japon, un pays confronté à présent à des questions liées à l’écologie. Je pense que ce thème de l’écologie dont l’art traite très peu sera désormais un sujet très important pour nous tous ».
Le thème de la solidarité s’est donc retrouvé dans tous les événements organisés dans l’édition actuelle du Festival Temps d’images. La directrice Miki Braniste nous en donne quelques exemples: « On a organisé beaucoup de débats qui ont réuni artistes roumains et étrangers, producteurs et directeurs de festivals étrangers. Bien que chacun d’entre eux ait fait le point sur la situation dans son pays, on a bien vu qu’il y avait un problème global et qu’on avait tous besoin de solidarité. C’est un thème qui préoccupe aussi le public. En attestent les retours reçus. Ces débats, on peut les poursuivre à Cluj, même après le Festival, afin de convaincre les gens à assumer leur rôle de citoyens ».
C’est toujours sur la solidarité que porte le spectacle de danse « Parallel » réalisé par Ferenc Sinkó et Leta Popescu avec à l’affiche les danseuses Lucia Marneanu et Kata Bodoki-Halmen. Un véritable coup de cœur pour le critique de théâtre Oana Stoica: « C’est une représentation qui s’ouvre sous les auspices de la danse contemporaine pour finir sous celles du théâtre. Le spectacle s’interroge notamment sur l’identité, le lesbianisme, la façon dont les hommes et les femmes se regardent les uns les autres au sein d’une société en proie aux clichés et préjugés. Le spectacle parle de tous ces stéréotypes à travers lesquels on a appris à juger l’autre et s’attaque notamment à la sensualité et la sexualité. C’est une production très forte qui place sur le devant de la scène deux artistes dont l’évolution n’a rien à voir avec ce qui se passe d’habitude sur les scènes de Roumanie. Elles arrivent à intégrer la danse et le texte, très poétique d’ailleurs, dans leurs gestes. Concrètement, elles bougent, tout en mettant un fort accent sur les paroles. En dansant en parallèle dans deux espaces différents créés sur la même scène, les deux artistes marquent le passage de l’identité féminine à celle masculine. Or, cette métamorphose s’avère traumatisante, comme par exemple le moment où elles bandent leurs seins de scotch pour annuler leur féminité. Une image très dure et pénétrante pour le public ».
La sélection du Festival Temps d’Images «a mis en évidence la spécificité actuelle du théâtre roumain: c’est-à-dire des textes à caractère social inspirés des réalités contemporaines », selon le critique Oana Stoica qui nous parle de ce que le festival a de particulier: «Il met en lumière les problèmes de la société en s’interrogeant là-dessus. L’artiste soulève certains problèmes, en insistant sur les vices de la société. Il pose des questions, sans offrir cependant des solutions. Car, finalement, ce n’est pas à lui de le faire, il doit juste de mettre les points sur les i. Je crois que le public a besoin d’une telle approche, vu qu’il se retrouve devant une forme verbalisée de tous ces problèmes qu’il ne sait pas les exprimer tout seul. Je dirais que l’art et le théâtre de Roumanie devraient se pencher davantage sur les tracas des gens de la rue pour en parler plus directement en renonçant aux métaphores »…(trad. : Ioana Stancescu, Alexandra Pop)