Herta Müller, invitée du Festival international de littérature et traduction (FILIT) de Iaşi
Sur la scène du Théâtre National de la ville, l’écrivaine d’origine roumaine, Prix Nobel de littérature en 2009, a été accompagnée par l’écrivain et journaliste Ion Vianu et par le traducteur Ernest Wichner, directeur de Literaturhaus (La Maison de la Littérature) de Berlin, qui a d’ailleurs été le modérateur de la rencontre. Depuis sa rencontre avec Gabriel Liiceanu (accueillie par l’Athénée Roumain de Bucarest en 2010, Herta Müller n’a plus parlé devant le public roumain. Aussi, le débat organisé dans le cadre du Festival international de littérature et traduction de Iaşi a-t-il été une véritable surprise.
Corina Sabău, 15.11.2014, 14:33
Sur la scène du Théâtre National de la ville, l’écrivaine d’origine roumaine, Prix Nobel de littérature en 2009, a été accompagnée par l’écrivain et journaliste Ion Vianu et par le traducteur Ernest Wichner, directeur de Literaturhaus (La Maison de la Littérature) de Berlin, qui a d’ailleurs été le modérateur de la rencontre. Depuis sa rencontre avec Gabriel Liiceanu (accueillie par l’Athénée Roumain de Bucarest en 2010, Herta Müller n’a plus parlé devant le public roumain. Aussi, le débat organisé dans le cadre du Festival international de littérature et traduction de Iaşi a-t-il été une véritable surprise.
Il y a 4 ans, l’écrivaine s’est longuement attardée sur la politique et la dissidence, critiquant la plupart des intellectuels roumains pour leur passivité face au communisme. Cette fois-ci, elle a beaucoup parlé littérature et lu des fragments de ses plus récents livres parus en roumain.
Entrée dans le collimateur de la police politique du régime communiste, Herta Müller a commencé à être persécutée après son refus de collaborer avec la Securitate et en raison des relations d’amitié qu’elle entretenait avec les membres de la société Aktionsgruppe Banat (le Groupe d’action du Banat).
Elle fait ses débuts littéraires en 1982, avec le recueil de récits « Niederungen » (« Bas-fonds ») – sévèrement censuré, paru aux maisons d’édition Kriterion. Ce livre allait être édité dans son intégralité deux ans plus tard, en Allemagne de l’Ouest. A partir de 1985, les œuvres de Herta Müller furent interdites en Roumanie. Suite aux pressions toujours plus fortes exercées sur elle par la Securitate, en 1987 elle quittait le pays pour s’établir en Allemagne et depuis, elle vit à Berlin.
La soirée Herta Müller à Iaşi a débuté par la lecture d’un fragment du livre « Aujourd’hui je préfère ne pas me rencontrer » de l’écrivaine récemment paru aux Maisons d’édition Humanitas. Ce roman peut se résumer en quelques mots : dans la folie totalitaire, une jeune fille ne veut pas renoncer au bonheur. Un roman caractérisé par une grande force expressive, où la force brute des mots se mue en poésie et en beauté. C’est un des livres les plus importants de l’écrivaine allemande née en Roumanie.
Ce roman de Herta Müller est une exploration magistrale et émouvante de la manière dont la dictature arrive à dominer l’âme humaine. De l’avis des critiques, « Aujourd’hui je préfère ne pas me rencontrer » et deux autres de ses romans — « LHomme est un grand faisan sur terre » et « Animal du cœur » constituent une trilogie, en vertu de leurs thèmes similaires.
Herta Müller : « Les critiques disent toujours qu’il s’agit d’une trilogie. Or, ce n’est pas tout à fait ça. Il sont trois, c’est vrai, mais je n’ai rien prévu d’avance. C’est plutôt un hasard, après avoir terminé un livre, j’en ai entamé un autre. Mes interrogations, mes dilemmes intérieurs n’étaient peut-être pas épuisés, ces problèmes me hantaient toujours. Moi, quand j’ai quitté la Roumanie, j’étais dévastée, je ne pouvais penser à autre chose — surtout pendant les premières années après mon départ, quand je savais que le régime de Ceauşescu était toujours au pouvoir. Je connaissais plusieurs dizaines de personnes que j’aimais bien et je savais qu’à tout moment il pouvait leur arriver des choses comme celles que j’avais vécues moi-même. Et ces gens-là n’avaient pas, eux, les moyens d’y échapper. Tous ces problèmes me encore touchaient au vif et je n’aurais jamais eu l’idée d’écrire sur autre chose. »
« Nous ne choisissons pas nos sujets, ce sont les sujets qui nous choisissent. » – a précisé Ion Vianu, invité de la soirée Herta Müller. L’écrivaine a poursuivi ses explications, en se rapportant justement à cet autre participant aux débats: «Il y a cette catégorie d’écrivains à laquelle, à mon avis, appartient Ion Vianu. Des écrivains qui ont vécu des événements à un impact trop grand pour qu’ils s’en sortent sains et saufs. On a mentionné le cas d’Alexandre Soljenitsyne, très révélateur de ce point de vue. Il y a des gens qui ont connu la guerre, les camps, le goulag et je pense que la moitié des livres de la bibliothèque du monde est consacrée à de telles expériences. Ce sont des livres écrits par des gens qui n’ont pas choisi leurs sujets. Les sujets ont été si durs, si âpres, que les écrivains ont été presque forcés de s’en occuper. C’est le sujet qui s’est occupé de moi, et non vice-versa. »
Participant aux débats, Ion Vianu, s’est rapporté à l’œuvre de Herta Müller : «Ce qui me fascine, dans les écrits de Herta Müller, ce sont l’extraordinaire ampleur et la complexité des sentiments. Ils ont un côté très acide, très ironique, un autre côté triste et funèbre, mais aussi quelque chose de gracieux. Ils ont également une touche de tendresse et de couleur. Et le tout baigne dans une sorte d’humour. C’est que la littérature de Herta Müller n’est pas exclusivement grave, elle est aussi amusante. Et c’est cette complexité qui fait de Herta Müller une grande écrivaine, une de mes écrivaines préférées de la littérature mondiale actuelle.» (trad. Dominique)