Freiraum – Les enfants de la liberté
Monica Chiorpec, 14.09.2019, 13:10
Le mot allemand Freiraum nest pas facile à traduire, il fait penser à la liberté dêtre soi, il évoque une libération ou un espace de liberté. Néanmoins, dans ce contexte spécifique, il pourrait nommer une certaine peur ou une angoisse par rapport à lidée de liberté ; une peur qui soit entraînée par une possible perte de sa liberté personnelle, soit liée à une incapacité collective à jouir de la liberté telle quelle est garantie aujourdhui par les institutions européennes.
Déroulé de 2017 à 2019, le projet du Goethe-Institut vise surtout à explorer la situation des villes européennes en matière de liberté, explique Evelin Hust, la directrice de lInstitut Goethe de Bucarest : « Nous avons essayé de connecter des personnes de différents pays européens pour réfléchir ensemble à lidée de liberté. La liberté est-elle mise en danger aujourdhui? La liberté dexpression est-elle menacée, si on regarde lexemple de la Turquie ou de la Pologne ? Le droit de choisir son mode de vie, on y porte atteinte lorsque quelquun définit lidée de famille, comme cétait le cas en Roumanie avec la Coalition pour la famille ? Nous nous sommes aussi interrogés par rapport aux manières qui nous restent de vivre notre liberté, en cas de récession économique. Dun autre côté, sommes-nous réellement libres ? Les promesses de lUnion européenne se traduisent-elles véritablement par des libertés ? Je crois que, par rapport à lEurope de louest, les gens sont plus sceptiques en Romanie quant au rôle de la démocratie et aux avantages quelle peut offrir. »
Le projet Freiraum sest déroulé en plusieurs étapes. Pour commencer, chaque Institut a identifié, à laide de ses partenaires locaux, une problématique spécifique au lieu dimplantation de lInstitut. Le projet a supposé par la suite la création de tandems par tirage au sort. Le hasard a réuni les Instituts Goethe de Bucarest et de Vilnius, la capitale de la Lituanie. De cette collaboration est né le documentaire « Les Enfants de la liberté ». La réalisatrice du film, Ruxandra Ţuchel, estime que lassociation entre la Roumanie et la Lituanie permet dillustrer lidée actuelle de liberté par contraste avec la période communiste traversée par les deux pays : « Il est très important, ce thème de la liberté. Si nous pensons la liberté dans le contexte actuel de lexplosion du populisme et du nationalisme, nous pouvons dire que ça devient de plus en plus sérieux. Mais il est très intéressant, surtout en Europe de lEst, de voir que dune génération à lautre, entre les parents et leurs enfants, lhistoire ne se transmet pas. Les enfants qui ont participé au projet ont 17-18 ans, ils sont en première ou en terminale. Leurs parents, dont la jeunesse battait son plein dans les années 90, après la chute du mur, ont dénormes difficultés à expliquer à leurs enfants que le monde a beaucoup changé, que la liberté dont ils jouissent maintenant était utopique il y a trente ans ou plus. »
Il est probable que les jeunes interrogés dans le documentaire « Les Enfants de la liberté » aient raison et que lidée de liberté se traduise aujourdhui surtout par la possibilité de voyager librement pour les études ou pour suivre une carrière dans les autres pays européens. Toutefois, dans ce cas, des barrières économiques sont susceptibles dapparaître, considère Evelin Hust, la directrice de lInstitut Goethe de Bucarest : « Je crois que, pour les jeunes, la liberté de choisir où ils veulent étudier ou vivre est aujourdhui bien plus grande. Mais cela concerne uniquement les très éduqués. Ces dernières années, nous nous sommes rendu compte quune partie des jeunes se sentent laissés pour compte, notamment à cause de la récente crise financière qui a fait progresser les taux de chômage dans des pays comme le Portugal, lEspagne et la Grèce. Les jeunes de ces pays se demandent probablement ce quil en est de leurs libertés, vu quils manquent de moyens pour en profiter. Nous ne pouvons pas généraliser ces constats, mais je crois que parfois les jeunes voient la liberté comme quelque chose de normal. Les jeunes générations nont pas expérimenté les temps où, en Roumanie ou en Allemagne de lEst, les gens vivaient au-delà du mur et la liberté de mouvement était extrêmement limitée. »
Derrière le Rideau de fer, la vie des jeunes nétait pas du tout facile, et les tentatives dimiter le mode de vie occidental pouvaient avoir de graves répercussions en termes de liberté, dans un régime totalitaire où les droits humains étaient bafoués jour après jour. A la différence de la Roumanie, la Lituanie occupée par les Soviétiques a traversé un processus de russification linguistique et culturelle. Ruxandra Ţuchel explique doù vient la différence de perspective entre les jeunes Lituaniens et les Roumains : « Lexpérience a été très intéressante, car leur situation est en partie similaire à la nôtre. Evidemment, au-delà du communisme que nous avons également traversé, il existe une grande différence entre eux et nous : cest le fait queux, ils étaient sous occupation russe. Dès lors, le culte de la langue et le désir de préserver son identité nationale prennent une toute autre connotation. Ils deviennent des armes pour luter contre ceux qui essayaient deffacer lidentité nationale. Ce sont des choses compliquées, je serais curieuse de savoir comment ça se passe pour les jeunes du même âge dun pays qui na pas connu un régime totalitaire après la Deuxième Guerre mondiale, comme la France ou la Grande Bretagne. La tendance est très claire pour ce qui est des jeunes des anciens pays communistes : ils veulent tous quitter leurs pays. La différence entre la Roumanie et la Lituanie est que les jeunes roumains veulent sinstaller ailleurs, alors que les Lituaniens souhaitent revenir chez eux à la fin de leurs études. »
Étonnamment, les lourdes traces laissées en Lituanie par le régime communiste sont aujourdhui presque entièrement effacées. Si les jeunes de Vilnius visent à émigrer en Europe Occidentale pour les études, cest parce que le système denseignement lituanien leur semble lourd, vétuste et bien trop théorique. Dans le documentaire « Les Enfants de la liberté », les jeunes lituaniens identifient lidée de liberté avec la chose qui leur est la plus chère : la possibilité de disposer deux-mêmes à tout moment. (Trad. Elena Diaconu)