«Fest(in) sur le boulevard» au théâtre « Nottara »
Double événement comportant une compétition, sous le titre : « Terrible crise, mon cher » et un régal : « Le boulevard de la comédie ».
Luana Pleşea, 02.11.2013, 13:00
Les spectacles en lice dans la première section provenaient de France, Autriche, Serbie, Bulgarie et Roumanie et ils illustraient la crise, sous tous ses aspects : économique, social, politique, sexuel ou identitaire.
Le grand gagnant a été le spectacle «Candide». Adaptation libre du conte de Voltaire, mis en scène par Cristian Pepino, ce spectacle de marionnettes pour adultes a eu sa première en 2007 au théâtre « Ţăndărică » de Bucarest.
Qu’est-ce qui a convaincu les membres du jury à le primer ? Nous l’apprenons du plus jeune d’entre eux, le metteur en scène Radu Alexandru Nica : «Premièrement, nous avons tous apprécié la qualité artistique de ce spectacle. Ensuite, le fait que ce n’est pas un spectacle de théâtre bien sage, au contraire, il est plutôt insolent. Moi, je suis ravi quand je vois que les autres ont envie de faire avec les marionnettes ce que j’aurais eu, moi-même, envie de faire, si j’avais travaillé dans ce domaine, à savoir « violenter », les traiter avec beaucoup d’humour, avec cynisme… Cet ancrage dans la zone de l’humour noir nous a tous fascinés. Tous les membres du jury ont été envoûtés par l’approche très lucide de ce texte appartenant à l’époque des Lumières. L’imagination débordante du metteur en scène et des comédiens nous a définitivement séduits. Qu’est-ce qu’un spectacle insolent ? C’est un spectacle provocateur, y compris du point de vue moral. La manière dont il traite de l’amour, dont il le démystifie, dont il le dévoile dans sa zone stupide et grotesque. Et cela ne s’arrête pas là. Il y a aussi la manière dont les marionnettes sont maniées, le rapport qu’il crée entre la zone vidéo et la zone de manipulation des marionnettes, entre le côté chorégraphie et le côté art dramatique : le tout a une grande dose de cynisme.»
Un autre spectacle à mentionner parmi ceux qui se sont disputé le trophée de la section « Compétition » arrivait de Vienne, mais il était mis en scène par un Roumain. Il s’agit de « Woyzeck », monté par Geirun Ţino au théâtre « Pygmalion ». Originaire de la ville de Brăila (dans le sud-est de la Roumanie), Geirun Ţino s’est établi à Vienne en 1985. Une dizaine d’années plus tard, il créait son propre théâtre : « Pygmalion ». En 2013, l’artiste se voyait décerner « La croix d’or du mérite culturel de la ville de Vienne» pour l’innovation dans l’espace théâtral.
La célèbre pièce « Woyzeck » de Georg Büchner est un des textes les plus souvent montés dans l’espace allemand. Le metteur en scène Geirun Ţino nous parle de sa vision de ce texte : « Woyzeck est le premier héros de la dramaturgie universelle à préfigurer, en quelque sorte, l’anti-héros. Avant Woyzeck, la quasi totalité des principaux personnages de la littérature dramatique étaient des nobles, des rois, des empereurs… Woyzeck est le premier « propre à rien », un Mr. Tout le monde, si vous voulez, un homme sans personnalité, sans situation sociale précise… Ce qui m’a intéressé, c’était de voir dans quelle mesure une telle personne, avec un tel caractère, pouvait développer le même appétit pour ses semblables, pour l’amour. Y avait-il une différence entre la façon dont un tel être aime et la façon dont aiment les autres ? Et on constate qu’il n’y a aucune différence. Et si, à cet égard, il n’y a aucune différence, alors, forcément, les différences qui pourraient exister à l’égard de tout le reste ne comptent plus. »
Le festival « Fest(in) sur le Boulevard » s’est ouvert officiellement par un événement inédit appelé « Du théâtre à tartiner ».
C’est le metteur en scène Mihai Lungeanu qui en a eu l’initiative. Son but était d’attirer l’attention des passants sur le théâtre.
A la fin du festival, la directrice du théâtre Nottara, le critique Marinela Ţepuş, souhaitait que ces rencontres au-delà de la scène avec le public se poursuivent : « A mon avis, le but d’un festival est de réunir un nombre aussi grand que possible de spectacles de qualité montés en Roumanie et à l’étranger. Mon plus grand désir est d’apporter un grand nombre de spectacles dans les deux sections du festival et de créer un véritable événement artistique dans l’espace public. Il s’agit de ne pas nous limiter au segment de trottoir devant le théâtre « Nottara », d’aller plus loin, de gagner le centre historique de la ville et de rejoindre un festival initié par la municipalité de Bucarest sous le titre : « Le Bucarest de Caragiale ». Ce dernier se déroule tout au long de l’été, pour s’achever le 15 septembre. Le nôtre débute le 15 octobre, nous pourrions donc, pour ainsi dire, prendre la relève. Puisqu’en octobre il fait beau à Bucarest, nous pourrions déterminer les gens à nous rejoindre, nous rapprocher davantage de la communauté, car un festival n’est rien d’autre qu’un festin donné à la communauté. »
En créant la section « Le boulevard de la comédie », qui doit demeurer une constante de ce festival, le théâtre « Nottara » lançait officiellement, du même coup, sa nouvelle stratégie. La grande salle du théâtre sera dorénavant un « boulevard de la comédie », sur sa scène seront montés uniquement des spectacles de comédie, alors que le studio « George Constantin » sera réservé aux spectacles de théâtre expérimental. Le message que le théâtre « Nottara » souhaite transmettre ainsi est simple et clair : le genre comique n’est pas un genre mineur et la comédie de qualité n’a pas cessé d’exister. (Trad.: Dominique)