Comment approcher les poèmes d’Eminescu dans l’enseignement moderne
Plusieurs défis se font jour dans ce contexte, obligeant les enseignants à changer de méthodes, afin de susciter la curiosité et d’attirer l’attention des élèves. Par exemple : comment faire en sorte pour que les classiques intéressent toujours les lycéens ? Aujourd’hui, nous prenons l’exemple de deux professeures de roumain, qui nous expliquent leur approche en classe du poète national des Roumains, Mihai Eminescu. Et pour cause : le 15 janvier dernier nous avons marqué le 170-e anniversaire de ce poète, écrivain et journaliste, considéré comme le plus grand auteur que la Roumanie ait jamais connu.
Corina Sabău, 25.01.2020, 14:01
Avant de donner la parole à nos invitées, voyons un peu qui est ce poète. Mihai Eminescu (Mihail Eminovici de son vrai nom) est né le 15 janvier 1850 à Botoşani, dans ce qui était à l’époque le Royaume de la Roumanie (formé suite à l’union des principautés de Moldavie (est) et de Valachie (sud)). Il a écrit son premier poème à l’âge de 16 ans. Ses poésies s’inscrivent dans le courant du romantisme et parlent de thèmes tels l’histoire nationale, l’amour, la nature, la nostalgie de l’enfance, la mélancolie. Il a écrit aussi des ouvrages philosophiques qui renvoient aux philosophes antiques, aux théories de Schopenhauer ou de Kant. Ses approches journalistiques étaient plutôt conservatrices, Eminescu se faisant remarquer en tant qu’âpre critique de la classe politique de son époque. La critique littéraire roumaine le place parmi les 4 grands classiques de notre littérature, aux côtés des prosateurs Ion Creangă et Ioan Slavici et du dramaturge Ion Luca Caragiale. Les manuscrits de Mihai Eminescu, réunis dans 46 volumes, avec un total de 14.000 pages, se trouvent à l’Académie roumaine. Le plus grand poète des Roumains est mort le 15 juin 1889, à Bucarest, à 39 ans seulement.
Un siècle et demi plus tard, comment faire en sorte pour que les lycéens d’aujourd’hui aiment ce poète ? Notre première invitée, Dumitriţa Stoica, mise sur une approche qui évite les clichés et les étiquettes, privilégiant les discussions plutôt amicales avec les enfants : « Les jeunes doivent être conscients entre autres que la plupart des textes écrits par Eminescu ont donné naissance à des bibliothèques entières de commentaires. Qu’il est possible d’interpréter son œuvre d’une multitude de manières et de créer un dialogue culturel, entre nous, ses lecteurs. Plus encore, j’ai constaté que la plupart des élèves sont attirés par l’aspect existentiel des créations d’Eminescu, par sa philosophie sur la vie. Ce qui est tout à fait normal, d’ailleurs. On peut donc rendre accessible l’œuvre de cet auteur en partant des principaux thèmes qu’il aborde, sans oublier le langage artistique. Sans doute, les jeunes s’intéressent à des sujets tels l’amour, l’évasion dans l’imaginaire, le bien et le mal, etc. Une des poésies philosophiques d’Eminescu a été source d’un débat très ample en classe. C’était un texte qui invitait au détachement, à l’abandon de la lutte quotidienne, à la contemplation passive de la vie. Or, cela a beaucoup intrigué mes élèves, qui sont des jeunes pro-actifs. »
Loin de les trouver obsolètes ou compliquées, les ados aiment les œuvres d’Eminescu et ils attendent avec impatience les classes de littérature pour en débattre. C’est ce qu’a pu constater notre seconde invitée, Dorica Boltaşu Nicolae, prof de roumain. Outre le sens de la vie, les élèves s’intéressent aussi aux amitiés, célèbres en Roumanie, entre Eminescu et le prosateur Ion Creangă ou le critique littéraire Titu Maiorescu, deux autres figures de proue de la littérature roumaine, ou bien à l’histoire d’amour entre Eminescu et la poétesse Veronica Micle. Dorica Boltaşu Nicolae ajoute : « Je me rappelle souvent une idée de l’écrivain contemporain Radu Cosaşu, qui dit que l’âme roumaine est un mélange d’Eminescu et de Caragiale (un grand dramaturge, connu pour ses comédies satiriques). Et bien que je ne sois pas une adepte des étiquettes et que je n’aime pas présenter Eminescu en tant que « notre poète national », je dis à mes élèves que Mihai Eminescu et Ion Luca Caragiale sont deux grands écrivains roumains, parce que chacun parle d’aspects essentiels de l’âme roumaine, de notre mentalité, de nos aspirations, de nos pensées et de nos rêves. Je leur dis aussi que Mihai Eminescu a été le dernier grand romantique européen, pour leur donner un contexte plus large. En fait, je commence par leur parler du romantisme, je fais une présentation plus ample de ce courant littéraire pour qu’ils comprennent mieux où se situe notre poète. Et je tente de faire des analogies entre le monde imaginaire du poète et la réalité virtuelle, un terme familier pour les jeunes d’aujourd’hui. J’ai vu qu’ils s’intéressent particulièrement à la poésie philosophique et cosmique. Je leur parle donc de poèmes où Eminescu décrivait des phénomènes que la science de l’époque n’avait pas encore expliqués ».
Bien que les temps changent, une chose est sûre : la création poétique d’Eminescu suscite toujours l’intérêt des nouvelles générations. Il y aura toujours un thème intéressant à débattre. Cela prouve que Mihai Eminescu est un poète qui transcende le temps. (Trad. Valentina Beleavski)