Bucarest, entre mémoire et exploitation
« Mémoire » est un projet participatif sur la mémoire collective de la capitale roumaine. Cest par cette initiative que Bucarest lance sa candidature au titre de Capitale européenne de la Culture en 2021. Le projet comporte 3 parties : Mémoire, Exploration et Imagination. Il se déroule à lAuberge de Gabroveni, récemment rénovée, dans le centre historique. Ici la ville nest plus seulement lendroit où se déroule laction, elle devient le protagoniste de laction.
Corina Sabău, 29.08.2015, 13:12
« Mémoire » est un projet participatif sur la mémoire collective de la capitale roumaine. Cest par cette initiative que Bucarest lance sa candidature au titre de Capitale européenne de la Culture en 2021. Le projet comporte 3 parties : Mémoire, Exploration et Imagination. Il se déroule à lAuberge de Gabroveni, récemment rénovée, dans le centre historique. Ici la ville nest plus seulement lendroit où se déroule laction, elle devient le protagoniste de laction.
« Bucarest a été généreux avec ses écrivains, il les a laissés se nourrir de sa substance, parfois de manière douloureuse, handicapante, se laissant lui-même nourri, à linstar de loiseau géant de contes de fées, par ceux qui lui ont consacré des pages. Ceux-ci ont de temps en temps coupé un morceau de leur propre corps, pour que la ville puisse les transporter, sur son dos, à différents endroits. Les écrivains ont récompensé sa générosité et ses paradoxes, bien que souvent partagés, comme la plupart de ses habitants dailleurs, entre lamour et la haine pour leur ville. Ils lont vénéré, lont maudit, lont exploré dans son intimité la plus hallucinante». Cest par ces mots lécrivaine Svetlana Cârstean explique la motivation se trouvant à lorigine du projet. Elle est également commissaire des événements littéraires à lAuberge de Gabroveni.
Svetlana Cârstean : «Nous en sommes à létape Mémoire qui dure jusquà la mi-mai. Un des événements que nous avons organisés porte sur la littérature. Nous avons fait une sélection rigoureuse parmi les auteurs, car nous avons de très bons écrivains que nous avons invités à parler de la ville. Nous les avons invités à une confrontation, pour créer une tension intéressante, pour les laisser exprimer leurs idées en parallèle, comme dans un miroir, les inciter à se contredire les uns les autres. Certains affirment aimer inconditionnellement Bucarest, dautres sy sentent dépaysés, dautres encore se ne sentent chez eux quau moment où ils rentrent à Bucarest, alors que dautres pourraient quitter cette ville à tout moment. Nous avons conçu un programme sétalant sur 3 jours. Y ont participé des écrivains, des critiques et historiens littéraires, tous ayant consacré des ouvrages importants à Bucarest».
Toujours au sein du projet « Marathon », le public sest vu proposer également un marathon de poésie modéré par Svetlana Cârstean et qui a regroupé les écrivains Adela Greceanu, Florin Iaru, Octavian Soviany, Miruna Vlada et Elena Vladareanu.
Svetlana Cârstean: « Chacun de ces écrivains a accepté de nous dévoiler sa relation avec la ville de Bucarest, ce qui a transformé notre rencontre en une expérience extraordinaire que jaimerais bien répéter, vu quil existe pas mal décrivains que je voudrais entendre parler de cette ville. Le marathon de poésie ne fut quun des projets mis en place. Sy ajoute une exposition de photographies anciennes de notre capitale, hébergée par lAuberge de Gabroveni, au centre ville. Lidée est que chaque visiteur choisisse une photo qui lui plaît, la fasse scanner par la suite à lInfokiosque de Gabroveni et la colle dans un espace dexposition spécialement créé à cette fin pour écrire en dessous les souvenirs et les impressions que cette photo lui inspire. Nous avons pas mal de témoignages de la part aussi bien des gens de la rue que des écrivains. »
La première partie de la trilogie dédiée à la ville de Bucarest – la Mémoire de la ville –vise à créer une carte de la capitale roumaine à partir de photos et de séquences de films extraits de collections personnelles et darchives, auxquelles les habitants de la ville sont invités à participer avec leurs propres témoignages photographiques et histoires subjectives illustrant la dynamique de la vie bucarestoise. Tant les habitants permanents de la ville que ceux qui y travaillent sont invités à contribuer directement à ce projet avec leurs propres photos et séquences filmées.
La commissaire du projet, Svetlana Cârstean : « Lorsque je suis entrée dans toute cette histoire, jai pensé à quel genre dévènements je devais organiser, à la manière dont je pourrais coopter des gens intéressés. Je nai pas pensé à dautres genres de conséquences. Je ne prenais pas en compte un éventuel repositionnement. Le processus de « Mémoire » a commencé avec quelques personnes et je crois quil continuera avec beaucoup dautres. Cest un des buts de ce projet et un des critères dappréciation de la candidature, celui dactiver massivement la communauté. Jespère que non seulement les gens de notre monde, celui de lart, racontent lhistoire de leur Bucarest, même si cet aspect est également très intéressant, puisque cest pour la première fois que les écrivains se sont réunis pour parler de leur Bucarest. Il est intéressant sentendre lécrivain Adrian Schiop raconter quau moment où il aura de largent, il compte acheter un appart dans le quartier de Ferentari, un quartier peu fréquentable à la périphérie. Ou bien quelquun dautre affirmer quil aimerait partir quelque part loin de Bucarest. Je ne suis pas née à Bucarest, jai passé mon enfance à Botosani, dans le nord, et les premières années de ma vie je les ai vécues à la campagne, chez mes grands parents. Donc jai subi deux traumas : le premier à sept ans, lorsque jai dû accepter la ville, même si cétait une petite ville, et la deuxième fois lorsque je suis arrivée dans la grande ville, dans la métropole. Jhabite Bucarest depuis 1988 et cela signifie quen septembre, je vais marquer les 27 années écoulées depuis mon arrivée dans cette ville. Théoriquement, je pourrais dire que je suis chez moi ici et en quelque sorte cela est vrai. Et pourtant, je ne me sens pas comme chez moi, je ne me sens pas complètement adoptée par cette ville. Jai vu la ville dans ses différentes étapes, jai vécu dans de nombreux appartements, maisons, certains qui sécroulaient, dautres pas, certains logements étaient situés dans les véritables ghettos Place Resita, dautres sur le très chic Boulevard Dacia. Je crois que ce projet me produira constamment des surprises et il est clair pour moi que je devrais me repositionner face à ce sujet. »
En 2021 la ville de Bucarest pourrait sajouter à la longue liste de villes européennes ayant été le long dune année Capitales européennes de la Culture. Le coup denvoi de la compétition nationale pour lélection de la ville qui représentera la Roumanie a été donné en décembre 2014. Aux côtés de Bucarest, plusieurs autres villes roumaines sont en lice : Cluj-Napoca, Timişoara, Iaşi, Craiova, Arad, Sfântu Gheorghe, Oradea, Alba Iulia, Brăila et Braşov. (Trad. Valentina Beleavski, Ioana Stancescu, Alex Diaconescu)