140 ans depuis la naissance de Dimitrie Gusti
C’est justement pour rendre hommage à ce personnage important de la Roumanie de l’entre-deux-guerres, que l’Académie Roumaine a organisé une conférence à l’occasion du 140e anniversaire de la naissance de Dimitrie Gusti. Fondateur de l’Ecole de Sociologie de Bucarest, il a réuni autour de lui plusieurs personnalités de son époque, dont Mircea Vulcănescu, celui qui a mis au point les fondements théoriques du système sociologique, H. H Stahl, un autre sociologue remarquable, ou encore Anton Golopenţia, Constantin Brăiloiu, Mihai Pop et Pompiliu Caraion.
Monica Chiorpec, 29.08.2020, 13:00
Pour sa part, Dimitrie Gusti fut une personnalité scientifique et culturelle complexe, créateur d’un système sociologique original, reconnu au niveau international, mais aussi un excellent manager et directeur d’institutions culturelles. Dimitrie Gusti fut aussi le mentor de nombreuses autres personnalités scientifiques, car ses disciples sont devenus des figures de proue de la culture roumaine, tels Mircea Vulcănescu. Cette relation entre le disciple et son maître, entre Gusti et Vulcănescu, a même servi de sujet de livre, tant elle a été forte et importante.
« Une micro-histoire de l’entre-deux-guerres en Roumanie » est un ouvrage de référence qui met en lumière les différentes facettes de la personnalité du créateur de la sociologie roumaine. Chose moins connue, Dimitrie Gusti a étudié la philosophie en Allemagne, où il a eu son doctorat en 1904. Puis, il a fait des études de droit. Une fois rentré en Roumanie, en 1910, il commence à travailler à la Faculté de Lettres et de Philosophie de l’Université « Alexandru Ioan Cuza » de Iaşi. Il devient membre de l’Académie Roumaine en 1919. Plus tard, entre 1932 et 1933 il est professeur à l’Université de Iaşi et de Bucarest, alors qu’entre 1944 et 1946 il est le président du Ministère des instructions publiques, des cultes et des arts, une prestigieuse institution culturelle de l’époque. Ce fut une personnalité toujours en contact avec les réalités de son temps, affirme Nicu Gavriluţă, professeur à l’Université de Philosophie et de Sciences socio-politiques de l’Université « Alexandru Ioan Cuza » de Iaşi : « Dimitrie Gusti a repris les thèmes classiques de son époque. En tant qu’élève du philosophe, psychologue et physiologue allemand Wilhelm Wundt, il ne pouvait pas rester insensible à la célèbre polémique opposant la nature et l’esprit. Les sciences de la nature versus les sciences de l’esprit. Pour Dimitrie Gusti, la société était la réalité sui generis capable de trancher ce conflit. Il fallait donc analyser la société de manière complexe et subtile, à son avis. Il a proposé plusieurs niveaux de recherche : le niveau psychologique, le niveau historique, celui cosmologique et celui biologique. Ces deux derniers sont des niveaux extra-sociaux. Il fallait donc aller sur le terrain pour voir de près la réalité telle qu’elle était sur place. Il s’est donc rendu dans les villages pour y explorer la vie des gens. »
C’est Dimitrie Gusti qui a initié et mené la recherche monographique des villages roumains entre les années 1925 et 1948. Une de ses réussites fut la loi du service social, adoptée en 1939, par laquelle la recherche sociologique, appuyée par l’action sociale pratique et la pédagogie sociale, devenait, en première mondiale une activité officielle, institutionnalisée. Et puis le même Dimitrie Gusti est célèbre pour les interviews faites dans le milieu rural, par lesquelles il a cherché des aspects inédits de la vie des gens de ces temps-là. Nicu Gavriluţă précise : « Il s’agit de la réalité examinée de manière positive, exacte, précise, rigoureuse, soit une étape obligatoire de toute recherche sociologique et dont l’importance est incontestable de nos jours. En revanche, si l’on veut comprendre des aspects plus profonds de la société, il faut se tourner vers la dimension invisible de la réalité sociale, vers ces héritages qui se transmettent d’une génération à l’autre et qui marquent de manière essentielle la pensée et le comportement des gens. Or, Dimitrie Gusti, qui fut aussi le disciple du philosophe et sociologue français Emile Durkheim, a aussi misé sur l’acte social comme ensemble de gestes humains symboliques. Si l’on pense que la réalité sociale est un ensemble de gestes humains ayant une certaine signification, alors il faut en dévoiler le sens. Qui plus est, leur sens premier s’efface au fil du temps, étant remplacé par d’autres, créés par la société et qui ont aussi leur importance. »
Une chose est sûre, on n’a pas encore tout dit sur cette personnalité complexe qu’a été Dimitrie Gusti. C’est pourquoi, le sociologue Zoltán Rostás se propose d’en dresser un portrait aussi précis que possible. Il est appuyé par une équipe qui s’appelle « La coopérative Gusti ». Zoltán Rostás explique sa démarche : « Le cas Gusti reste ouvert et il nécessite une nouvelle approche. Nous estimons que le véritable hommage à la mémoire du professeur Gusti et de son école consiste à la redécouvrir. Facile à dire, difficile à faire. Cela parce que, bien qu’il fasse partie de l’histoire récente de la Roumanie, bien que nous ayons accès aux données et aux ouvrages, notre accès à la personnalité de Gusti risque de rester partiel, subjectif et limité. On ne peut connaître Gusti que si l’on connaît son monde. Par conséquent, nous devons retrouver les racines de ce phénomène et de sa biographie, retrouver les contextes concrets qui nous permettront de mieux comprendre les acteurs à avoir contribué de manière consciente ou spontanée, à la naissance et à l’épanouissement de la sociologie de Gusti. »
En attendant que les chercheures mènent leur enquête sur la personnalité du sociologue Gusti et sur ses découvertes en matière de sociologie, précisons que « La coopérative Gusti » est aussi une plate-forme en ligne dont l’objectif principal est de mettre à la disposition du grand public et des spécialistes les recherches d’histoire sociale et d’histoire orale réalisées par la Société Sociologique de Bucarest. Le tout, sous le regard attentif de son initiateur, Zoltán Rostás. (Trad. Valentina Beleavski)