Mos Gerila – Grand-père Gel
Célébrée depuis les débuts du christianisme par une combinaison de rites païens et chrétiens, Noël – la naissance du Seigneur – et les autres coutumes liées au début de la nouvelle année ont été accompagnées, le long des temps, de traditions différentes. Linstallation dune coutume, lapparition dun nouveau rituel ou dun symbole relève aussi des valeurs partagées par la société à un moment donné de son histoire. Par exemple limage de Noël en famille sest développée plutôt récemment dans lhistoire et relève, selon des études historiques et sociologiques, des valeurs de lépoque victorienne, dans le contexte de lindustrialisation de la Grande Bretagne.
Christine Leșcu, 05.01.2018, 13:00
Célébrée depuis les débuts du christianisme par une combinaison de rites païens et chrétiens, Noël – la naissance du Seigneur – et les autres coutumes liées au début de la nouvelle année ont été accompagnées, le long des temps, de traditions différentes. Linstallation dune coutume, lapparition dun nouveau rituel ou dun symbole relève aussi des valeurs partagées par la société à un moment donné de son histoire. Par exemple limage de Noël en famille sest développée plutôt récemment dans lhistoire et relève, selon des études historiques et sociologiques, des valeurs de lépoque victorienne, dans le contexte de lindustrialisation de la Grande Bretagne.
Dans les Principautés roumaines, le sapin orné est arrivé de lespace allemand, avec la modernisation entamée dans les années 30 du XIXe. Quant au Père Noël, son apparition est encore plus récente. En tout cas, les coutumes modernes qui accompagnent les rites religieux et traditionnels liés à la naissance du Seigneur, les mettant parfois dans lombre, nétaient pas très ancrées dans cet espace avant linstallation du communisme. Or ce régime a imposé une manière différente de passer les fêtes. Lintention était deffacer la mémoire du passé et de faire en sorte que les gens vivent dans la nouvelle société avec une série de « traditions » à la mesure de lidéologie communiste. Ces transformations ont été réunies dans un livre intitulé « Du Grand-père Gel à Santa Claus. Un regard sociologique sur Noël ».
Son auteure, Ozana Cucu-Oancea, parle des plans des communistes : « Rien na été laissé au hasard ni na été fait de façon brutale. Ils savaient que lon ne pouvait pas anéantir une fête complètement. Ils nont pas souhaité éliminer la Noël de la vie des gens parce quils savaient que le peuple était attaché à ces symboles. Leur tactique sest donc ciblée sur un changement de sens de certaines traditions, ils ont visé à gommer la dimension religieuse dune fête et muter ses éléments composants. Par exemple, le sapin de Noël et la figure du Père Noël ont été transformés et mués en une fête laïque. Les communistes ont essayé de faire sortir cette fête du cadre familial et de lemmener dans lespace public, la transformant, en fait, en une festivité. Le Père Noël ne venait plus à la maison, pour laisser les cadeaux sous le sapin, il venait à la fabrique ou à linstitution où travaillaient les parents. Ou encore dans la Petite ville des enfants, ou à la Maison de la culture, donc dans des espaces publics. Telle était leur tactique ».
Les Petites villes des enfants, en fait des parcs dattractions, continuent dexister aujourdhui en Roumanie. Lintention des communistes, lorsquils les ont créées, était dassocier les fêtes dhiver à une fête publique, au milieu du collectif, et de détruire la dimension strictement familiale. Le Père Noël a lui aussi connu une transformation. Il a été remplacé par Grand-père Gel. Personnage importé de lURSS, il était vêtu de bleu, pas de rouge, et ne venait plus dans la nuit du 24 au 25 décembre, mais dans la nuit du Nouvel an. La Fête de la République a été introduite, le 30 décembre, pour muter vers cette dernière laccent qui était auparavant mis sur le 25 décembre, le 30 décembre était en fait le jour de labdication forcée du roi Michel en 1946.
Ozana Cucu-Oancea fait état du nouveau calendrier communiste des fêtes de fin dannée: « Laccent a migré des dates de Noël (qui dure trois jours selon la tradition orthodoxe), les 25 et 26 décembre étant décrétés jours ouvrables, le seul jour férié était le 1er janvier. Si Noël était un jour en semaine, les gens devaient aller travailler, donc seuls les enfants et les personnes âgées pouvaient encore aller à léglise. En fait, les Roumains ont doublé les fêtes. Ils ont continué à fêter Noël en famille, comme dhabitude, et ils participaient, en parallèle, aux fêtes communistes dhiver ».
Ce dédoublement était pratiqué tant à la ville, où les gens se souvenaient encore du Père Noël, mais aussi à la campagne, qui préservait certaines traditions religieuses et populaires. Malgré tout, la propagande communiste a aussi atteint son but. Ozana Cucu-Oancea: « Lindustrialisation sest produite plus tard que dans les pays occidentaux, donc limage du sentimentalisme victorien de Noël nétait pas très répandue avant larrivée du communisme. Cela, uniquement dans lespace urbain et seulement au niveau des classes supérieures. Il na pas réussi à se propager davantage et il nétait nullement connu à la campagne. De ce fait, très peu de gens de la campagne se souvenaient encore du Père Noël. Pendant que jétais étudiante et que jallais beaucoup dans les villages, jai été surprise de connaître beaucoup de paysans qui avaient vécu toute leur vie avec lidée que cest le Grand-père Gel qui arrive en fin dannée, et non pas le Père Noël à Noël ».
Après ce dédoublement du temps du communisme, à compter de 1990, les Roumains sont passés rapidement à la variante contemporaine de fêter Noël : de manière consumériste, diraient certains. (trad.: Ligia Mihaiescu)