L’église de Densuş
Blotti au pied des monts, le petit village de Densuş se trouve au Pays de Haţeg, dans l’ouest de la Roumanie, à proximité d’Ulpia Traiana Sarmisegetuza, ancienne capitale de la province romaine de Dacie. Cette localité est surtout connue grâce à un étrange, mais superbe lieu de culte, à savoir l’église orthodoxe St. Nicolas. Sa première attestation documentaire remonte à 1360, mais ses origines se perdent dans la nuit des temps.
Christine Leșcu, 04.09.2016, 13:40
Blotti au pied des monts, le petit village de Densuş se trouve au Pays de Haţeg, dans l’ouest de la Roumanie, à proximité d’Ulpia Traiana Sarmisegetuza, ancienne capitale de la province romaine de Dacie. Cette localité est surtout connue grâce à un étrange, mais superbe lieu de culte, à savoir l’église orthodoxe St. Nicolas. Sa première attestation documentaire remonte à 1360, mais ses origines se perdent dans la nuit des temps.
Père Florin Dobrei, de l’Evêché orthodoxe de Deva et de Hunedoara, passe en revue les différentes hypothèses sur l’origine de l’église de Densuş: « On a véhiculé l’idée que cette église aurait été la synagogue érigée par une communauté de Juifs sous le règne de Décébale, reprise par les Romains, après la conquête de la Dacie et transformée en temple païen censé accueillir les offrandes. D’autres hypothèses parlent d’un ancien lieu de culte dressé par les Goths ou bien d’un édifice ecclésiastique chrétien, ayant rempli cette fonction dès sa construction. La plupart des études, notamment celles que l’on a menées ces dernières décennies, privilégient l’hypothèse selon laquelle il fait partie de la grande famille des constructions datant des XIIe-XIVe siècles, spécifiques de la Mésie ou Moésie, ancienne région géographique et historique située au sud du cours inférieur du Danube. Les historiens sont parvenus à identifier la famille de la noblesse locale par les soins de laquelle on avait bâti cette église. Elle s’appelle Mânjina ou Muşina ».
Un autre point non élucidé est celui du rôle que cet édifice religieux a joué avant d’être transformé en église chrétienne. C’est l’aspect à part de l’église de Densuş qui a alimenté, en égale mesure, les recherches et suscité des controverses autour de son origine. Construit en pierre blanche et surmontée d’un haut clocher reposant sur un corps massif, de forme presque carrée, cet édifice ne ressemble à aucun autre lieu de culte chrétien de Roumanie ou d’ailleurs. Le clocher, qui est peut-être l’élément le plus connu de l’église de Densuş, mesure une vingtaine de mètres de haut. La tour est soutenue par quatre colonnes. Chaque pilier est construit par la réutilisation de deux autels romains superposés, décrivant un carré, soit une surface de quelque 3 m². Les matériaux utilisés pour la construction sont exclusivement des spolia issus d’anciens monuments romains, soit des fragments d’autels votifs ou de stèles funéraires, amenés d’Ulpia Traiana Sarmizegetusa ou des villas rustiques avoisinantes.
Les premières hypothèses concernant l’existence pré-chrétienne de l’église de Densuş sont apparues au XVIIIe siècle, précise le père Florin Dobrei: « A commencer par le XVIIIe siècle, on a mis en avant la thèse de la paternité romaine de cette construction. Le baron Sylvester von Hochenhausen, officier autrichien, établi en Transylvanie, a publié en 1775 un ouvrage présentant quelques-unes des églises roumaines du Pays de Haţeg. Il y prête une attention particulière à l’édifice de Densuş. Hochenhausen affirmait que l’église avait été, initialement, un temple païen consacré au dieu Mars, érigé par les soins du général romain Longinus, gouverneur de la Dacie dans la période comprise entre les deux guerres daco-romaines. Prenant comme point de départ cette idée, certains historiens affirment qu’au carrefour des IVe et Ve siècles, l’ancien sanctuaire serait devenu un édifice religieux chrétien. A preuve, les différents éléments spécifiques d’un tel sanctuaire que l’on peut observer aujourd’hui encore. Parmi eux, les trois lions funéraires, dont deux présents sur la voûte supérieure de l’abside et un sur la tour. A cela s’ajoutent les silhouettes des chevaux gravés en bas de la colonne gardant l’entrée dans le naos et sur deux autres colonnes situées près de l’iconostase et les inscriptions latines copiées, reconstituées et traduites en allemand par Hochenhausen, qui mentionnent le nom de Longinus ».
L’histoire de l’église de Densuş devient de plus en plus claire à commencer par le XIIIe siècle, explique Florin Dobrei: «On suppose qu’aux XIIIe-XIVe siècles, soit à l’époque des voïvodats roumains, l’édifice servait de chapelle aux princes de la famille Muşina. Au XVe siècle, elle desservait la paroisse orthodoxe de la contrée. A défaut d’inscriptions en vieux slave, on accepte aussi l’idée du double usage liturgique du XVI au XVIIIe siècles. Cela veut dire que l’église a été utilisée simultanément par les chrétiens orthodoxes et par la petite communauté réformée formée des descendants des princes fondateurs. Si au début du XVIIIe siècle, ce lieu de culte passe sous l’administration de l’église gréco-catholique, il sera mentionné comme édifice religieux orthodoxe par le recensement des années 1761-1763. L’église retournera sous la tutelle de l’église gréco-catholique, pour redevenir orthodoxe en 1948 ».
L’église de Densuş est une attraction constante pour les touristes qui s’intéressent à la culture et à la religion ; elle intrigue et fascine. (Trad. Mariana Tudose)