L’architecte Ion D. Berindey
Le surnom de « Petit Paris » accordé à l’ancien Bucarest est embrassé par certains, mais contesté par d’autres. Ces derniers considèrent que le mélange d’Orient et d’Occident, les multiples aspects contradictoires de la ville — comme par exemple les taudis avoisinant des manoirs — non seulement ne renvoient pas à Paris, mais font partie de la spécificité et de l’attractivité de Bucarest. Pourtant, à compter de la seconde moitié du XIXe, certains architectes commencent à imaginer des bâtiments qui rappellent Paris par leur style et leur somptuosité.
Christine Leșcu, 21.07.2015, 13:22
Ion D. Berindey, né en 1871 dans une famille d’architectes, est un d’entre eux. Son père, Dimitrie Berindey, a été le premier architecte roumain formé à l’Ecole des Beaux-Arts de Paris entre 1853 et 1859. Ion D. Berindey s’inscrit initialement à l’Ecole de Ponts et Chaussées de Bucarest, mais il part à Paris, où il étudie à la même école que son père, entre 1891 et 1897. A son retour en Roumanie, les commandes ne tardent pas, et Berindey commence à travailler simultanément sur plusieurs projets, la plupart conçus dans le style qu’il avait appris à Paris.
L’architecte Sidonia Teodorescu, auteure d’une monographie consacrée à Ion D. Berindey, décrit sa façon de travailler: « Puisqu’il avait reçu plusieurs commandes, dès le début du XXe s, il travaillait en parallèle à plusieurs bâtiments, dont certains très connus, tels le Palais Cantacuzène, ou bien l’immeuble qui abrite aujourd’hui le Très petit théâtre de Bucarest, ou encore le Palais de la Culture de Iasi, l’hippodrome démoli de Bucarest, ainsi que beaucoup de maisons privées à Craiova ou Constanţa. La création de Berindey est placée sous le signe de l’éclectisme et on y retrouve des éléments de néo baroque, de néo rococo, et même des éléments d’Art nouveau. Mais ce qui était surprenant, et je le mets en exergue dans mon livre, c’était que Berindey a beaucoup travaillé aussi dans le style néo roumain. »
Outre sa manière originale de combiner les différents styles architectoniques, Ion D. Berindey a aussi créé un certain type d’ornementation considérée aujourd’hui encore comme étant sa marque, mais aussi celle de Bucarest : décors en fer forgé, verrières et baies métalliques, escaliers, balustrades, mascarons et autres. Les édifices qui illustrent, peut-être, le mieux sa manière stylistique sont le Palais Cantacuzène de l’Avenue de la Victoire, aujourd’hui siège du Musée Georges Enesco, et la Maison Assan, en style néoclassique français, aujourd’hui connue sous le nom de la Maison des scientifiques, sise Place Lahovary, en plein centre de la capitale roumaine. Le Palais Cantacuzène a lui aussi une belle histoire qui commence avec Grégoire Cantacuzène, surnommé le Nabab, et continue avec sa bru, Maruca, celle qui allait devenir la muse et l’épouse de Georges Enesco.
Sidonia Teodorescu explique: « Georges Grégoire Cantacuzène, surnommé le Nabab en raison de son immense fortune et devenu en 1899 chef du Parti conservateur et premier ministre, a décidé, de construire le plus beau logement de Bucarest. Voici comment les chroniqueurs du temps ont décrit le palais: un splendide immeuble à façade Louis XIV, avec des plafonds peints par des artistes renommés, avec des bronzes et des statuettes réalisés par le sculpteur Storck, avec du bois sculpté et du fer forgé sorti des mains des maîtres bucarestois, à chauffage central par calorifères, avec 600 lampes incandescentes, une véritable œuvre d’art. »
Comment Sidonia Teodorescu décrirait-elle maintenant cet édifice ? « Je pense qu’il peut être décrit par un seul mot : somptueux. La somptuosité est due aussi au fait qu’à la réalisation du bâtiment, Berindey a été aidé par des artistes connus de l’époque, par exemple les peintres Costin Petrescu et Gh. Mirea pour les peintures murales, ainsi que le sculpteur Emil Wilhelm von Becker pour les sculptures et l’ornementation sculpturale. Il a également collaboré avec des ateliers célèbres de France pour les décorations intérieures. J’ajouterais qu’il est l’auteur d’un plan de systématisation réalisé en 1914, à Craiova, avec l’ingénieur Coleanu. »
Malheureusement, son rythme effréné de travail a eu raison de Ion D. Berindey ; l’architecte est décédé en 1928, à 57 ans, d’un arrêt cardiaque. (trad.: Ligia Mihăiescu)