La première école des métiers de Bucarest
Le développement de la capitale et l’apparition des fabriques à travers le pays ont mis en évidence la nécessité de la formation aux métiers de l’artisanat. D’où la création de maintes écoles spécialisées, dont l’école des métiers baptisée ‘Le Marteau’.
Christine Leșcu, 18.12.2015, 12:44
Plusieurs premières en matière de programme scolaire sont liées à celle-ci, affirme notre interlocutrice Anca Tudorancea, historienne au Centre pour la recherche sur l’histoire des Juifs de Roumanie: « L’école des métiers Le Marteau a été la première en son genre de Roumanie. L’initiative de sa création remonte à 1897. Elle a également compté parmi les premiers établissements scolaires du pays à dispenser les cours en anglais. A l’instar des autres écoles juives, primaires ou commerciales qui voient le jour dans le Bucarest du début du XX e siècle, celle-ci est née d’une nécessité. Vers la fin du siècle précédent, avaient été votées deux lois qui excluaient les élèves juifs de l’enseignement public roumain. Cette école des métiers devait donc répondre au besoin de la communauté juive d’intégrer ses membres dans la société. Le programme de cette école était tout à fait révolutionnaire pour ces temps-là. Tout d’abord parce qu’il mettait l’accent sur la pratique dans les ateliers et sur les différentes conférences de vulgarisation des savoirs. Il n’était pas rare que les apprentis ferblantiers, serruriers ou menuisier assistent à des conférences données par les meilleurs spécialistes du monde juif dans des domaines tel la musique. A un moment donné, on a même créé une fanfare de l’école. Comme les élèves bénéficiaient d’internat depuis 1909, ils avaient plus de temps à leur disposition pour cultiver d’autres habiletés aussi. Vers 1915, on leur parlait même du cinéma ou de l’histoire universelle, ce qui ne se passait pas dans les écoles de l’enseignement public.
Le fondateur de l’école des métiers « Le Marteau » a été Adolf Solomon, propriétaire d’une fabrique de meubles en métal, de Bucarest. Son but était non seulement de former ses futures ouvriers, mais aussi et surtout d’offrir une chance aux enfants juifs habitant à proximité de l’école, à savoir dans les quartiers pauvres de Dudeşti et de Văcăreşti. Dans les années 1930, l’école accueillait aussi des enfants issus de familles chrétiennes ou musulmanes. Puisque bien de ces enfants provenaient des milieux défavorisés, l’école leur accordait des bourses. Certains recevaient même des vêtements, des fournitures scolaires et de la nourriture. L’argent nécessaire au fonctionnement de l’école avait pour source la vente des objets sortis des mains de ces élèves. Une partie de ces objets se retrouvait aussi dans les synagogues. Il s’agissait de clôtures métalliques, de candélabres, des menoras ou d’autres objets de culte spécifiques. Pourtant, bien des ornements en fer fabriqués dans les ateliers de cette école décoraient les bâtiments laïcs aussi.
L’école fondée par Adolf Solomon se préoccupait constamment de rechercher des sources de financement, précise Anca Tudorancea : Adolf Solomon est l’initiateur de cette école, celui qui maintes fois dépensé son propre argent pour la soutenir. Certains rapports d’activité de l’école mentionnent l’existence d’une véritable communion entre les contremaîtres et les élèves. Si au début l’école comptait seulement 30 élèves, leur nombre s’est accru au fil du temps, jusqu’à atteindre une moyenne annuelle de 60 à 80. Il y eut même des années où ils étaient 150. Les difficultés n’ont pas manqué, mais en dehors de son appui financier, Adolf Solomon, rédigeait aussi des rapports et des demandes de subvention, adressées aux différentes institutions internationales, dont The Jewish Colonization Associationqui couvrait un quart des besoins financiers. L’école parvenait donc à dérouler tant bien que mal son activité. Malheureusement, dans l’intervalle 1906 – 1909, l’école a dû fermer ses portes en raison du manque de fonds, malgré ses bons résultats et le fait que les artisans qu’elle avait formés étaient arrivés à travailler même à Los Angeles et à New York.
L’école a traversé d’autres moments difficiles aussi, comme ceux de l’occupation de 1917, lorsqu’une partie des ses locaux ont été transformés en écuries pour la cavalerie allemande. Ses anciens élèves ont toujours trouvé de l’emploi dans le pays et à l’étranger. Certains d’entre eux ont raconté combien apprécié était leur savoir-faire dans les Etats-Unis, ajoute Anca Tudorancea: Frank Silberstein écrivait en 1906 depuis Los Angeles: J’ai suivi des cours de ferblanterie à de l’Ecole « Le Marteau ». Le sort a voulu que j’arrive en Amérique. Dès mon premier jour ici j’ai senti que mon métier était mon bracelet d’or. J’y ai rencontré d’anciens camarades d’école primaire. Ils n’ont pas réussi à trouver un emploi, même s’ils parlent bien l’anglais, alors que moi, qui ne maîtrise pas la langue, j’en ai trouvé le jour même de mon arrivée. Vous imaginez combien grande est ma reconnaissance envers nos professeurs et notre chère école.
Nationalisée en 1948, l’école des métiers « Le Marteau » de Bucarest a heureusement continué à fonctionner durant les années du communisme et même jusqu’il y a peu.