Elisa Brătianu
Au XIXe siècle et dans la première moitié du XXe, les femmes ne pouvaient exercer leur influence que dans l’ombre, car les mœurs du temps les empêchaient d’occuper le devant de la scène politique et publique. Ceci étant, elles se consacraient au foyer, à la vie culturelle ou aux oeuvres caritatives. Ce fut aussi le cas d’Elisa Brătianu, épouse de Ionel Brătianu, président du Parti National Libéral, chef de la délégation roumaine à la Conférence de paix de Versailles et premier-ministre à plusieurs reprises. L’activité de Ionel Brătianu a été cruciale pour le développement de la Roumanie du début du XXe siècle. Il est de notoriété qu’il n’aurait pas réussi à déployer une activité aussi soutenue s’il n’avait pas bénéficié du support de sa femme.
Christine Leșcu, 14.11.2015, 13:44
Au XIXe siècle et dans la première moitié du XXe, les femmes ne pouvaient exercer leur influence que dans l’ombre, car les mœurs du temps les empêchaient d’occuper le devant de la scène politique et publique. Ceci étant, elles se consacraient au foyer, à la vie culturelle ou aux oeuvres caritatives. Ce fut aussi le cas d’Elisa Brătianu, épouse de Ionel Brătianu, président du Parti National Libéral, chef de la délégation roumaine à la Conférence de paix de Versailles et premier-ministre à plusieurs reprises. L’activité de Ionel Brătianu a été cruciale pour le développement de la Roumanie du début du XXe siècle. Il est de notoriété qu’il n’aurait pas réussi à déployer une activité aussi soutenue s’il n’avait pas bénéficié du support de sa femme.
Descendante des familles princières de Ştirbey, Bibescu et Ghica – Elisa a vu le jour en mai 1870, à Buftea, près de Bucarest, dans le palais construit par les soins de son père, Alexandru Ştirbey, fils du prince régnant Barbu Ştirbey. Voici comment elle décrivait sa famille dans les Mémoires rédigés en français et publiés très tard, après la chute du régime communiste: Je suis née 11 ans après l’Union des Principautés roumaines. Ma mère était originaire de la Moldavie. Mon père, né à Paris, le 1er août 1837, avait passé son enfance et presque toute sa jeunesse en France, jusqu’à l’éclatement de la guerre avec l’Italie, en 1859, date à laquelle on lui avait demandé de quitter l’armée française et de retourner dans le pays. Le portrait des sa mère, Maria Ghika-Comăneşti, est enveloppé dans l’aura romantique du patriotisme ardent: Elle nous défendait de distinguer entre moldaves et valaques, nous recommandant d’utiliser le terme de Roumains. Elle avait la taille haute, les cheveux blonds, une posture imposante, des traits fins et un teint éclatant.
Malheureusement, Maria Ghika-Comăneşti meurt lorsque sa fille, Elisa, est encore adolescente. Une adolescente tout aussi passionnante et passionnée que sa mère, affirme l’historienne de l’art Oana Marinache: « On dit qu’elle était de nature assez fougueuse, raison pour laquelle son père l’aurait mariée, à 20 ans, avec son meilleur ami, Alexandru Marghiloman. Comme c’était un mariage arrangé et que les deux époux avaient des caractères nettement différents, le divorce fut inévitable. Bien sûr que l’idylle d’Elisa Marghiloman et Ionel Brătianu y avait été pour beaucoup. En 1907, année assez tendue pour la politique et la société roumaine, Elisa épouse Ionel Brătianu, dont elle sera l’amie et la compagne fidèle et qu’elle appuiera dans toutes ses démarches. Sans pour autant s’impliquer ouvertement dans les affaires politiques, elle a influencé son mari par ses conseils et surtout par le soutien aux projets culturels ».
Un de ces projets a visé la création des Domaines Brătianu à Bucarest, un ensemble d’édifices à vocation culturelle et philanthropique, situé entre la Place Amzei et le Boulevard Dacia de nos jours. Nous repassons le micro à notre interlocutrice, l’historienne de l’art Oana Marinache: Elisa tente d’honorer la mémoire de son mari, mort en 1927. Sur les terrains qui faisaient partie de sa do, elle fait construire plusieurs annexes à sa maison, à savoir une bibliothèque, une salle de conférences et une salle d’exposition. Dix ans après la mort de Ionel Bratianu, elle commande au sculpteur croate Ivan Mestrovic un monument représentant son mari.
L’activité de Ionel Brătianu, les tournants de la politique roumaine aux XIXe et XXe siècles, dont elle a été témoin, mais aussi des histoires de famille, Elisa Brătianu les a tous consignés dans ses Mémoires, affirme Oana Marinache: Ces écrits constituent un témoignage fort important et objectif sur l’histoire du XIXe et du début du XXe siècle. Malheureusement, beaucoup de manuscrits sont perdus. Elisa Brătianu a dicté une bonne partie de ses mémoires à des proches qui ont jeté au feu plusieurs cahiers. Même sa sœur, Adina Moruzzi, en aurait brûlé quelques – uns, les jugeant dépourvus d’intérêt. D’autres cahiers de mémoires se sont perdus. Ce qui a pu être sauvé et qui a été publié pour la première fois après les événements de 1989 ne représente que des fragments de ces écrits. Ils évoquent l’enfance et l’adolescence d’Elisa, son opinion sur la vie des boyards de Moldavie et de Valachie du XIXe siècle. Il n’y a pourtant aucune mention de son premier mariage. En échange, la personnalité de Ionel Brătianu et la famille royale sont très bien illustrées dans les mémoires qui nous sont parvenus.
Elisa Brătianu est morte en 1957. Parus pour la première fois en 1999, Les mémoires d’Elisa Brătianu ont été réédités en 2015 par la maison d’édition Istoria Artei (Histoire de l’art). Soignée par Oana Marinache, la nouvelle édition est illustrée de photos de famille. (Trad. Mariana Tudose)