Dinu Pillat
Né le 19 novembre 1921, l’écrivain Dinu Pillat semblait être destiné à une belle carrière littéraire et intellectuelle, tant pour ses qualités innées que pour les circonstances de sa naissance. Le fils du poète Ion Pillat et de la peintre Maria Brateş-Pillat, apparenté à la famille du grand homme politique Ion Brătianu, la future personnalité de la culture roumaine a grandi dans une atmosphère très propice pour la création. D’un tempérament naturellement sociable, le poète Ion Pillat gardait, en faisant preuve d’une grande générosité, sa maison ouverte pour tous ses amis du monde littéraire, d’après les souvenirs de son fils, Dinu Pillat, enregistrés dans une évocation gardée dans la Phonothèque d’Or de la Radio.
Christine Leșcu, 06.02.2018, 13:04
Né le 19 novembre 1921, l’écrivain Dinu Pillat semblait être destiné à une belle carrière littéraire et intellectuelle, tant pour ses qualités innées que pour les circonstances de sa naissance. Le fils du poète Ion Pillat et de la peintre Maria Brateş-Pillat, apparenté à la famille du grand homme politique Ion Brătianu, la future personnalité de la culture roumaine a grandi dans une atmosphère très propice pour la création. D’un tempérament naturellement sociable, le poète Ion Pillat gardait, en faisant preuve d’une grande générosité, sa maison ouverte pour tous ses amis du monde littéraire, d’après les souvenirs de son fils, Dinu Pillat, enregistrés dans une évocation gardée dans la Phonothèque d’Or de la Radio.
Dinu Pillat: « Une catégorie d’invités comprenait les confrères de mon père qui se réunissaient l’après-midi pendant les dernières années de vie de Ion Pillat, à peu près chaque dimanche. Parfois, il arrivait que quelqu’un lise des vers, suivis par des commentaires, en fait juste un prétexte pour divaguer sur le thème de la poésie. Parmi les écrivains qui étaient présents lors de ces petites réunions de dimanche on comptait, d’habitude, quelques-uns des suivants: Vasile Voiculescu – le meilleur ami de mon père -, Ştefan Neniţescu, Ion Marin Sadoveanu, Tudor Vianu, Ionel Teodoreanu etc. Je pense que Ion Pillat détestait la solitude, il ressentait toujours le besoin de communiquer avec quelqu’un. C’était visible même dans notre vie de famille, car il nous cherchait chacun dans nos chambres, pour échanger avec nous ou bien juste pour nous voir, sans avoir quelque chose de spécial à nous dire ».
Dans les années 1940, Dinu Pillat était déjà l’assistant du critique littéraire George Călinescu à la chaire d’Histoire de la littérature roumaine à l’Université de Bucarest. La beauté et le naturel de sa situation n’allaient pas durer longtemps, car, après la guerre, le régime communiste s’est installé en Roumanie. Dinu Pillat a été chassé du système d’enseignement, étant forcé à travailler comme caissier dans une coopérative de Bucarest. Il allait travailler ainsi jusqu’en 1956 quand, toujours grâce a l’intervention de George Călinescu, il a été embauché à l’Institut d’histoire de la littérature et du folklore de l’Académie Roumaine. Dinu Pillat lui avait envoyé aussi, quelques années auparavant, le manuscrit d’un roman qu’il croyait capable d’avoir un sort hors du commun.
Le philosophe, l’écrivain et l’éditeur Gabriel Liiceanu dresse dans ce qui suit une esquisse de la biographie de ce livre qui portera le nom de « En attendant la dernière heure » : « Le livre est né à l’été 1948, au manoir appartenant à la famille des Pillat, et il a été écrit en trois ou quatre mois. Le 2 octobre 1948, Pillat écrivait à George Calinescu, en annonçant au grand critique littéraire et professeur qu’il avait fini d’écrire son livre. Il avait 27 ans à l’époque, mais il avait déjà écrit deux romans: l’un à 20 ans, et un deuxième à 25 ans. Mais, cette fois-ci, il était vraiment troublé du résultat. Toutefois, en peu de temps, le livre entre dans une période d’hibernation et d’améliorations successives pour être considéré par son auteur, en 1955, définitivement achevé en 1955. Comme le thème du livre était le moment de la naissance du mouvement légionnaire en Roumanie, il n’était pas question de le publier dans les premières années d’après l’instauration du régime communiste. Il ne s’agissait pas d’un point de vue historique. L’auteur désirait plutôt savoir comment la jeune génération de l’entre-deux-guerres – comme par exemple, des anciens collègues de Dinu Pillat – avait pu investir ses idéaux d’une manière si erronée à ce moment de l’histoire. Le thème du roman était le suivant: comment avait-il été possible qu’une partie des jeunes gens du pays eussent suivi ce chemin descendant de l’histoire? Après avoir fini son roman, ne pouvant pas le publier, il a commencé à l’offrir à ses amis pour qu’ils le lisent. Il a été lu, grosso modo, par environ dix personnes ».
Ces dix personnes constitueront après le lot d’intellectuels appellé Noica-Pillat, arrêté et condamné à une peine sévère de prison par le régime communiste. La raison? Ils avaient lu et écrit des livres subversifs, parmi lesquels «En attendant la dernière heure». Parmi les membres du lot il y avait, outre Dinu Pillat, le philosophe Constantin Noica, l’écrivain Păstorel Teodoreanu, la metteuse en scène Marieta Sadova et le futur moine Nicolae Steinhardt.
Gabriel Liiceanu : « En 1959, à cause de l’engagement historiquement très connu de Gheorghiu-Dej, le premier président communiste de la République populaire roumaine, de tenir le pays d’une poigne de fer après le départ des troupes soviétiques, il a déclenché une vague de répressions qui ont surtout atteint les intellectuels qui se comportaient selon leur naturel: ils écrivaient, se rencontraient et discutaient des livres. Tous ces gens, qui ne faisaient autre chose que se rencontrer autour de quelques livres, sont devenus la cible d’une répression féroce ».
Libéré de prison en 1964, Dinu Pillat allait vivre juste 11 ans de plus, car il était très affaibli par les tortures subies et par les conditions inhumaines de la vie en prison. Le manuscrit du livre « En attendant la dernière heure » a été confisqué pendant l’enquête et ajouté au dossier de l’inculpé en tant que preuve. Puis, dès 1959, il a disparu, pour être récupéré seulement en 2010, des archives du Conseil national pour l’étude des archives de la Securitate, l’ancienne police politique. Cette année-là, « En attendant la dernière heure » a été imprimé pour la première fois, 62 ans après avoir été écrit. (Trad. Nadine Vladescu)