Brancusi et le signification du matériau dans la sculpture
L’œuvre de Constantin Brâncuşi semble se positionner, plus qu’aucune autre forme d’art moderne, hors de toute exégèse. En 1964, l’historien de l’art Herbert Reed mettait Constantin Brâncuşi dans la triade de pointe de la sculpture européenne, en le déclarant une de ses trois pierres angulaires, aux côtés de Phidias et de Michel-Ange. La quarantaine de motifs qui reviennent systématiquement dans les œuvres de Brâncuşi provient du symbolisme traditionnel roumain, qui a été une des sources majeures de la création du sculpteur.
Monica Chiorpec, 20.04.2018, 14:30
L’œuvre de Constantin Brâncuşi semble se positionner, plus qu’aucune autre forme d’art moderne, hors de toute exégèse. En 1964, l’historien de l’art Herbert Reed mettait Constantin Brâncuşi dans la triade de pointe de la sculpture européenne, en le déclarant une de ses trois pierres angulaires, aux côtés de Phidias et de Michel-Ange. La quarantaine de motifs qui reviennent systématiquement dans les œuvres de Brâncuşi provient du symbolisme traditionnel roumain, qui a été une des sources majeures de la création du sculpteur.
La philologue Sorana Georgescu-Gorjan, la fille de l’ingénieur Ştefan Georgescu-Gorjan, celui qui a conçu, du point de vue technique, la Colonne sans fin de Brancusi, qui fait partie de l’ensemble du sculpteur de Târgu Jiu, raconte: «Brancusi a vraiment été obsédé par le vol. En 1944, Brâncuşi écrivait sur la Maïastra que cet oiseau était l’incarnation dans un esprit voyageur, du « dor », le sentiment de la langueur la plus profonde. De sa propre sculpture, il écrivait qu’elle était l’expression la plus exquise du « dor », la « langueur roumaine », sentiment inexprimable, similaire à la nostalgie ou à la « saudade » portugaise. Il a quitté son village d’origine, Hobiţa, et puis le pays, à cause de son désir ardent de voyager. Toutefois, c’est toujours lui qui écrivait: « Sois maudite, sacrée langueur / Dans quels lieux tu m’as mené / Pourquoi ne m’as-tu pas laissé rester chez moi? » Il pensait que « celui qui quitte son village ne retrouve plus jamais le sentiment du bien ». Son identité roumaine est donc très évidente. Dans ses notes, gardées à travers le temps, il écrivait qu’il était fils de « chiaburi », paysans aisés de Roumanie. Il était fier de l’héritage de ses ancêtres et du fait que ses grands-parents avaient bâti des églises, car ils étaient des tailleurs de pierre et c’est pour cela qu’il a toujours admiré les artisans. À un moment donné, on lui a offert la possibilité de faire une colonne tournée industriellement aux Etats-Unis. Il a refusé. Il a été impressionné par la manière de réaliser ici, au pays, la Colonne sans fin, par une magnifique équipe de maîtres qui ont respecté leur profession et ont travaillé avec un amour infini, lui aussi. »
Une des particularités de la création de Brâncuşi est celle d’avoir donné une voix au matériau. En pleine époque de l’art abstrait, les œuvres réalisées par le sculpteur roumain respectent les caractéristiques de la pierre, du bois et du bronze, comme c’est dans l’art traditionnel.
Sorana Georgescu-Gorjan cite des notes de son père, à l’occasion de sa première visite dans l’atelier de Brâncuşi à Paris: « Quand mon père est entré dans la maison de Brâncuşi, quelque part, dans la pénombre, taillés dans des troncs desséchés de chêne rouvre avec une hache de charpentier, s’élevaient, souples et droits, les blocs de la colonne, qui respectaient, comme un canon musical, le module unique du même élément répété à l’infini. Les colonnes sans fin, descendues telles quelles des porches des maisons dans les villages en dessous des chaînes montagneuses de Parâng et de Lotru, en bas des forêts de Tismana, de Hobiţa ou de Godineşti, de Peştişani ou de Novaci (au nord de la ville de Târgu Jiu, dans les Carpates Méridionales) ». Mon père écrivait aussi: « Brâncuşi, musicien en pierre, en bois et en bronze, a composé surtout des thèmes avec des variations. Les œuvres en bois sont uniques. Le matériau vivant lui-même a été celui qui lui a suggéré le sujet de la sculpture. » Brâncuşi a nommé sa colonne, par écrit, la « Colonne sans fin ». Il l’a définie ainsi, en français: « La Colonne sans fin, c’est comme une chanson éternelle qui nous emmène dans l’infini, au-delà de toute douleur et de la joie factice ». (Trad. Nadine Vladescu)