Artistes plasticiens durant la Première guerre mondiale
La Grande Guerre a été aussi la première conflagration richement illustrée par des images cinématographiques, des photographies et des dessins. Les plasticiens de différents pays en guerre se sont retrouvés en première ligne soit par initiative personnelle, soit parce qu’ils avaient été appelés par leurs patries à illustrer les combats et l’atmosphère générale du front. Ce fut également le cas de la Roumanie. Le 23 juin 1917, lorsque la Roumanie était en guerre contre les Puissances centrales, le général Constantin Prezan a émis un ordre de mobilisation des peintres, illustrateurs et sculpteurs pour réaliser des œuvres qui allaient par la suite être exposées dans un futur musée militaire. Au sujet des artistes appelés par leur patrie pour manier non pas les armes, mais les pinceaux et le carnet de croquis, écoutons Adrian Silvan Ionescu, directeur de l’Institut d’histoire de l’art de Bucarest : « Un service cinématographique et photographique de l’armée existait déjà en Roumanie, mais les responsables militaires de l’époque ont jugé que la vibration transmise par les plasticiens pourrait s’avérer plus intense que la présentation sommaire et très réaliste que produisait l’appareil photo. C’est sous les couleurs du drapeau que toute une série d’artistes ont créé ; ils étaient déjà officiers en réserve, mais aussi des personnes qui n’avaient aucun rang dans l’armée, des Roumains qui n’avaient même pas effectué leur service. Ils avaient reçu le rang honoraire de lieutenant et la solde à laquelle ils avaient droit. Parmi eux, les sculpteurs Ion Iordanescu, Ion Jalea, Cornel Medrea, Oscar Han, mais aussi les peintres Teodorescu-Sion, Traian Cornescu, Camil Ressu, Alexis Macedonski, Nicolae Dărăscu, Petre Bulgărăş et d’autres. Tous ces plasticiens ont disposé de peu de temps pour créer des œuvres. Ils ont commencé début juin et déjà en septembre une exposition était inaugurée à l’Ecole des beaux-arts de la ville de Iasi, dans le nord-est.»
Christine Leșcu, 16.02.2018, 15:04
Afin de surprendre le mieux possible le caractère dramatique des combats, mais aussi les efforts des soldats, ces plasticiens se sont rendus en première ligne du front. Certains ont été même victimes des échanges de tirs. Ce fut le cas du grand sculpteur Ion Jalea, qui, sur le front de Marasesti, dans l’est de la Roumanie actuelle, là où il réalisait quelques croquis, a été atteint par un obus et il a perdu son bras gauche. Mais quelles étaient les créations de ces artistes ? Le drame quotidien et la vie tourmentée des soldats dans les tranchées a constitué le point commun de toutes les œuvres réalisées par les plasticiens roumains », affirme l’historien de l’art Adrian Silvan Ionescu. « Les scènes émanant de la force, le combat mené jusqu’au paroxysme ne sont pas celles qui dominent, mais plutôt celles illustrant le quotidien des tranchées, la lecture de la presse, le transport des blessés aux hôpitaux, la marche des prisonniers. Les artistes n’osent plus illustrer d’amples scènes de combats, avec des charges de cavalerie, des explosions d’obus, des attaques à la baïonnette sans précédent, comme ce fut le cas des conflits antérieurs, marqués par une solennité martiale. Glorifier la guerre n’est plus l’objectif de ces artistes, qui cherchent désormais le réalisme dans leurs œuvres. »
Les artistes convoqués par le général Prezan n’ont pas été les seuls à exercer leur vocation sur le front roumain de la Première Guerre mondiale. Nombre de peintres ont travaillé indépendamment des services spécialisés de l’armée. Parmi eux, Iosif Iser. Même si officiellement il combattait au sein du service géographique de l’armée et réalisait des cartes militaires, et aussi des cartes de menu pour les diners des officiers supérieurs, Iosif Iser trouvait le temps de peindre et de dessiner des scènes du quotidien des tranchées. Parmi ces artistes qui ne se retrouvaient pas sous le haut patronage du Grand Quartier Général figurait aussi Costin Petrescu, le créateur de la grande fresque qui décore l’intérieur de l’Athénée roumain.
L’historien de l’art Adrian Silvan Ionescu passe en revue d’autres artistes de cette catégorie : « Victor Ion Popa, un admirable dessinateur, une personnalité culturelle, a collaboré avec la presse de l’époque et produit des illustrations humoristiques, mais aussi des œuvres d’une grande force expressive. Un autre plasticien à ne pas faire partie du groupe créé au sain du Grand QG a été Sabin Popp. Détaché auprès de la flotte aérienne déployée à Barlad, il a même survécu à un incident aéronautique. Lors d’un virage très serré effectué par le pilote, Sabin Popp fut carrément éjecté du cockpit. A la dernière minute, il réussit à s’accrocher à une des ailes et l’avion se posa avec lui hors de son siège. Il échappa ainsi à une mort horrible, car à l’époque les aviateurs ne portaient pas de parachute. Sabin Popp a été initialement attaché à un régiment d’infanterie pour être ensuite redéployé à la flottille aérienne, où il a peint les portraits de ses camarades officiers et de ses subordonnés. »
Les œuvres de ces artistes illustrant la tragédie de la Grande Guerre peuvent être admirées dans une exposition récemment inaugurée au Musée national d’art de Bucarest.