Pandémie et économie
Impréparés pour une pandémie, tous les pays du monde l'étaient. Quel est l'état de l'économie roumaine à présent?
România Internațional, 15.04.2020, 14:45
Nous passons en revue quelques-unes des opinions les plus avisées en matière déconomie sur les mesures à adopter et les écueils à éviter par la Roumanie.
La pandémie de coronavirus présente dans le monde entier a trouvé les pays impréparés à un tel choc. Pourtant, certains y font face mieux que d’autres, suivant aussi le niveau de leur économie. Les Etats de l’UE ont pris des mesures similaires. La crise du coronavirus trouve la Roumanie avec un déficit de 4,6%, le plus grand d’Europe. Il faut d’abord faire face à la crise sanitaire, et le matériel nécessaire, qui manquait dans une grande mesure, a été commandé, mais comme partout, il arrive au compte-gouttes, étant donné que dans le monde entier, les pays se l’arrachent. Cela fait un mois que l’état d’urgence est en vigueur en Roumanie. L’économie est à l’arrêt, seul le commerce de denrées alimentaires et la production agricole, mais aussi les pharmacies sont encore ouvertes. L’Etat a promis de financer le chômage technique à hauteur de 75% du salaire. Déjà, la Roumanie compte plus d’un million de salariés dont les contrats sont suspendus, donc au chômage technique, voire rompus — plus de 215.000. Et le président annonce que vu l’évolution de la pandémie en Roumanie, l’état d’urgence sera prolongé d’un mois, le plus probablement. Cette situation, que certains analystes, tels le Pr Ionuţ Dumitru, ancien président du Conseil fiscal, appellent « un coma induit », ne devrait pas se prolonger au-delà de 2-3 mois, pour ne pas fragiliser encore davantage cette économie. Mais pendant ce temps, estime-t-il :
« Plus la crise sanitaire va durer et d’autant la crise économique sera de plus grande ampleur et s’inscrira dans la durée. L’activité devrait se poursuivre à petit feu dans certains secteurs économiques, cela aiderait tout le monde, y compris le budget de l’Etat, qui ne peut pas supporter à l’infini de payer le chômage technique. Mieux nous respecterons les restrictions et c’est d’autant que la souffrance, y compris la souffrance économique, sera moindre ».
Avec un déficit de 4,6% l’année dernière, et une prévision du gouvernement à 6,5% pour l’année en cours, mais les analystes l’estiment supérieure, la Roumanie aura du mal à trouver les fonds nécessaires à la relance de l’économie. Le chômage technique pour les plus d’un million de personnes coûte entre 600 et 820 millions d’euros par mois à l’Etat. Comme presque tout est à l’arrêt, les recettes au budget de l’Etat baissent, alors que les dépenses sont à la hausse. Certaines sont absolument obligatoires — la santé, par exemple. Déjà la Roumanie allouait le moins de toute l’UE à ce secteur — 500 euros par an et par personne, alors qu’à l’opposé, le Luxembourg en allouait 5000. Selon le Pr d’économie Mircea Coşea,
« la crise sanitaire tue des gens maintenant, mais la crise économique peut aussi tuer des gens après une certaine période. Le problème, c’est que nous ne faisons pas d’équilibre très réel et très correct entre la crise sanitaire et la crise économique. Lorsque l’économie descend de 10%, il convient de reprendre l’activité économique dans différents domaines, sous conditions. Chez nous, l’économie a déjà baissé de 30%, selon les dires du premier ministre. La reprise sera extrêmement difficile. Il faut qu’un relâchement soit amorcé. »
Comment ? Par des commandes d’Etat, à commencer par l’industrie alimentaire, par tous les services d’hôtellerie-restauration, estime Mircea Coşea. Le gouvernement a annoncé des aides aux entreprises. Toutefois, il faudra bien les cibler, et vu que 2020 est une année électorale, les économistes craignent que les lois économiques ne passent au second plan. Sur le blog Opinions de la Banque nationale de Roumanie, l’économiste en chef Valentin Lazea est plus tranchant que d’autres, et affirme que :
« Par l’assouplissement des mesures fiscales entamé en 2015 et continué jusqu’à la fin de l’année dernière, la Roumanie a épuisé toute la munition qu’elle aurait pu utiliser dans des conditions de crise. Parce que c’est une chose que d’avoir un excédent budgétaire de 1% du PIB avec un déficit de 3-4% du PIB (comme l’Allemagne et la Bulgarie), et c’en est une autre de passer d’un déficit de 4,3 à un déficit de 7% du PIB (sans prendre en compte l’application de la loi des retraites). »
Des solutions rapides doivent être mises en place pour conserver l’emploi. Les économistes critiquent des mesures généralisatrices, car toutes les compagnies n’ont pas les mêmes besoins. Le fait que la Roumanie ait le plus grand nombre de personnels publics de toute l’UE, rapporté au nombre d’habitants, pose problème. Il y a ici un débat sur la solidarité ; l’idée de de mettre au chômage technique ces 1.200.000 personnes pendant 15 jours par mois est étudiée par le cabinet de Bucarest. D’autres voix affirment que la Roumanie devrait opérer maintenant des réformes courageuses, qui n’ont pas été prises les 30 dernières années. Pourtant, avec l’échéance électorale qui approche, on peut douter que de telles réformes soient mises en place.
Un autre sujet qui fait débat, c’est la majoration de 40% des retraites, prévue à l’automne, par une loi votée sous l’ancienne gouvernance. Le Pr d’économie Daniel Dăianu, actuel président du Conseil fiscal, ancien ministre des Finances et membre de la direction de la Banque nationale de Roumanie s’exprimait sur une chaîne de télévision de manière catégorique :
« La Roumanie doit revoir toutes ses dépenses, y compris les dépenses militaires, et l’augmentation des retraites de 40% ne doit aucunement avoir lieu. Nous devons utiliser au maximum les fonds européens, obtenir de la Commission un report des cofinancements. Oui, il y a eu un relâchement des règles fiscales dans l’UE, mais cela ne veut pas dire que l’on peut tout faire et dépenser sans compter. Selon moi, la dépense pour la santé équivaut à celle pour l’arsenal militaire. La guerre est d’une autre nature. Nous avons des fonds structurels et des fonds de cohésion dont il faut absorber le plus possible. La récession sera sévère », avertit Daniel Dăianu.
Le gouvernement ne s’est pas encore exprimé à propos de la hausse des retraites. En tout cas, le populisme n’a pas lieu d’être dans ce cas de figure. Un soutien de la part du FMI pourrait-il être une bouée de sauvetage pour la Roumanie ? Là encore, mentionnons que la notation du pays est au premier échelon, celui d’« investment grade » ; avec un déficit de 9%, par exemple, nous risquons d’arriver dans la catégorie « pas d’investissement », et plus aucune entité ne sera intéressée à prêter de l’argent à un pays dans une telle situation. Valentin Lazea met en garde que tout approfondissement du déficit ou de la dette consenti à présent pour lutter contre la crise prolongera la période pour renouer avec la normalité dans l’après-crise, cela agrandira les coûts afférents et amplifiera les réformes à mettre en place.
Dans ce contexte, et alors que les entrepreneurs du secteur privé demandent au cabinet de Bucarest des aides de 30 M d’euros (soit près de 15% du PIB) pour recapitaliser les compagnies roumaines et pour la relance de l’économie, qu’est-ce que le gouvernement devrait faire ? Valentin Lazea pense que :
« Le gouvernement ferait bien de résister aux appels d’imitation non critique des pratiques des pays industrialisés, même si cela est difficile dans une année électorale. L’opposition devrait freiner ses impulsions à surenchérir toute mesure économique, car le vote populaire pourrait la mener au pouvoir dans des conditions économiques à la toxicité desquelles elle aura pleinement contribué. »
Et pour les 30 M d’euros requis, il martèle :
« Cette proposition est faite par mimétisme, mais elle ne tient pas compte du fait que ce qui est permis aux Etats développés n’est pas permis aux pays émergents, tels que la Roumanie. »
Et d’expliquer que les marchés peuvent tolérer des taux d’endettement beaucoup plus importants pour les Etats industrialisés (plus de 100% du PIB pour les gouvernements et plus de 300% du PIB pour tous les secteurs), alors que pour les pays émergents, ces niveaux de tolérance sont à 50%. Pour les créanciers, ce n’est pas tant la dette d’un Etat qui compte, mais la balance entre les dettes et les créances. Il a donné l’exemple du Royaume-Uni, dont la dette totale excède les 300% du PIB, mais qui a des créances à encaisser supérieures à ce taux. La Roumanie, a-t-il poursuivi, même si elle a une dette totale de seulement 120% du PIB environ, elle a très peu de créances à encaisser du reste du monde, donc elle est un débiteur net. La capacité éventuelle à rembourser un très gros crédit est moindre dans le cas de la Roumanie par rapport à la France, l’Allemagne, l’Italie qui ont des avoirs nets 5 fois plus importants que leur PIB, alors qu’en Roumanie, l’avoir net n’est que de 1,4 PIB. Et selon l’économiste en chef de la Banque nationale de Roumanie, les mesures de stimulation fiscale sans précédent prises par les pays développés dans la lutte contre la pandémie ont conduit, dans les pays émergents, à l’illusion que les lois économiques peuvent être suspendues et qu’il y a un « déjeuner gratuit » pour lequel personne ne doit payer ni maintenant, ni à l’avenir. Même les Etats développés devront payer pour les crédits qu’ils souscrivent, certes, dans des conditions meilleures que ce que la Roumanie pourrait espérer. En tout cas, des solutions mûrement réfléchies et bien ciblées doivent être prises d’urgence, pour éviter que la Roumanie ne s’écroule comme un château de cartes, et aussi qu’elle ne perde en compétitivité devant les autres pays de la région.