Les parlementaires roumains évacuent le conflit d’intérêts
Au fil du temps, s’estimant au-dessus de tout et de tous, les élus de Bucarest se sont accordé des privilèges sans limite. Ils ont adopté des lois qui les mettent à l’abri des représentants de la Justice, au cas où ceux-ci auraient l’intention de leur demander des comptes pour certaines irrégularités dont ils se sont rendus coupables.
Roxana Vasile, 23.06.2016, 13:46
Au fil du temps, s’estimant au-dessus de tout et de tous, les élus de Bucarest se sont accordé des privilèges sans limite. Ils ont adopté des lois qui les mettent à l’abri des représentants de la Justice, au cas où ceux-ci auraient l’intention de leur demander des comptes pour certaines irrégularités dont ils se sont rendus coupables.
En prévision des législatives de cette automne, qui pourraient leur ravir leur siège au Parlement et en même temps l’immunité parlementaire, les députés et les sénateurs ont pris une nouvelle décision de ce genre : mercredi, ils ont adopté, avec 306 voix pour et une abstention, un projet de loi aux termes duquel ceux parmi eux ayant embauché des membres de leur famille dans leurs propres cabinets parlementaires avant le 21 août 2013 ne seront plus accusés de conflit d’intérêts.
« Je regrette ce vote qui dépénalise le conflit d’intérêts pour les élus parlementaires », a réagi la ministre de la Justice, Raluca Pruna, sur sa page Facebook. Et à elle de poursuivre – « on m’a demandé d’expliquer ce que j’entendais pas l’idée de restauration. Exactement ce qui vient de se produire. Et j’ajouterais, en paraphrasant, que j’assimile la restauration à la tyrannie parlementaire ». Mme Pruna déplore également le fait qu’il n’y ait pas eu de débat sur ce projet de loi, tandis que le représentant du gouvernement ne s’est pas vu accorder le droit de parole lors de la réunion du Sénat.
Ces élus se sont créé une clause spéciale d’impunité, ont également fait savoir les experts, après que certains parlementaires ont été déférés à la justice ou ont été condamnés de manière définitive pour avoir engagé des membres de leurs familles en tant que collaborateurs parlementaires. Une brèche a été faite de sorte qu’ils puissent recourir à cette solution l’avenir, estiment également les juristes, selon lesquelles on a amputé l’idée même de conflit d’intérêts, désormais puni par une loi générale, mais exempté de sanctions dans une loi spéciale.
La position de l’Agence nationale pour l’intégrité ne s’est pas non plus laissé attendre. L’institution précise que la décision de mercredi vient à l’encontre du Code pénal, qui punit le conflit d’intérêts depuis déjà 2003. De plus, selon elle, le vote des élus parlementaires roumains n’entrave ni les enquêtes ni l’examen d’une trentaine de tels cas par les juges. Notons qu’entre 2011 et 2015, l’Agence nationale pour l’intégrité a révélé 56 cas de conflits d’intérêts parmi les sénateurs et les députés, dont 26 à caractère pénal. Dans la quasi-totalité des dossiers, les juges ont donné raison à cette institution qui veille sur l’intégrité des hauts fonctionnaires. En 2015 seulement, 10 élus parlementaires ont été condamnés à des peines de prison avec sursis ou à des amendes pour conflit d’intérêts.
Cette nouvelle loi n’est pas, pour autant, la seule qui viole la loi fondamentale roumaine, la jurisprudence de la Cour constitutionnelle ou les principes de l’Etat de droit. C’est aussi le cas de l’acte réglementaire qui permet aux maires ainsi qu’aux conseillers locaux et départementaux condamnés pour corruption à des peines avec sursis de garder leur mandats, estime le chef de l’Etat roumain, Klaus Iohannis. Il a annoncé qu’il avait déjà contesté à la Cour constitutionnelle cette loi qui entrave la lutte anticorruption. (trad.: Dominique, Andrei Popov)