A la recherché des coupables de la descente des gueules noires sur Bucarest.
Ce fut le 20 mai 1990, cinq mois après la chute du dictateur communiste Nicolae Ceausescu qu’Ion Iliescu, ancien ministre des années ’70 perçu comme le leader de la Révolution anticommuniste, remportait le premier scrutin présidentiel libre avec 85% des voix. Son parti, un mélange hétérogène de révolutionnaires authentiques et d’apparatchiks communistes de deuxième rang, s’adjugeait deux tiers du Législatif de Bucarest. Egalement dans la capitale roumaine, les protestataires, qui manifestaient contre le nouvel régime installé en décembre 1990 qu’ils percevaient comme néo-communiste, quittaient la place de l’Université, acceptant ainsi le verdict sévère des urnes.
Bogdan Matei, 22.10.2015, 13:29
Occupée depuis plusieurs mois par des dizaines de milliers de manifestants exubérants et non-violents, cette place du centre-ville, décrétée première zone libérée du néo-communisme, était peuplée de quelques dizaines de grévistes de la faim qui semblaient incapables de poursuivre leur vie ailleurs. Leur évacuation par la Police, dans la nuit du 13 juin, s’est réalisée par un usage disproportionné de la force, rappelant la répression de la Révolution anticommuniste. De nos jours encore, il n’est pas évident que ceux qui avaient réagi le lendemain par des combats de rue contre la police et par l’occupation des sièges du ministère de l’Intérieur et de la Télévision étaient ceux qui avaient protesté sur la place de l’Université.
Ion Iliescu et ses proches les accusaient d’être adeptes de la Légion de l’archange Michel, mouvement roumain d’extrême droite d’avant la Seconde Guerre mondiale. Même si l’armée avait déjà rétabli l’ordre, le pouvoir a appelé la population à sauver la démocratie. Les travailleurs des mines de la Vallée du Jiu, dans le centre du pays, ont répondu à l’appel d’Ion Iliescu. Deux jours durant, les 14 et 15 juin, ceux-ci ont régné sur la Capitale roumaine où ils s’étaient substitués aux autorités légales.
Bilan : des centaines de blessés, un millier de personnes abusivement retenues et au moins quatre morts. Le bâtiment dévasté de l’Université de Bucarest et les sièges saccagés des partis d’opposition et des journaux indépendants ont complété le tableau de cette déferlante. Pour l’ex-procureur général de Roumanie, Laura Codruta Kövesi, actuelle chef du Parquet anticorruption, l’enquête sur ces événements figurait parmi « les plus grands échecs du ministère public. »
Selon les différents commentateurs, le dossier aurait pu être définitivement classé si l’année dernière la Cour Européenne des Droits de l’Homme n’avait pas obligé la Roumanie à poursuivre les investigations. Aujourd’hui, Ion Iliescu, 85 ans, est président honoraire du PSD, formation qui mène la coalition gouvernementale. Il demeure un personnage très respecté dans ce parti aux effectifs décimés par les procureurs anticorruption, puisqu’il est selon ses propres mots « pauvre et honnête ». Un autre octogénaire, l’ex-ministre de la défense, le général Victor Atanasie Stanculescu a déjà purgé une peine de prison pour son implication dans la répression sanglante de la Révolution de décembre 1989.
Pour sa part, le très sophistiqué et actif septuagénaire Virgil Magureanu, directeur du Service roumain de renseignements en juin 1990, avait fait une carrière didactique à la Faculté de sociologie de l’Université de Bucarest. Ces trois anciens hauts responsables ont été rattrapés par un passé, en train de leur troubler une vieillesse plutôt sereine.