Juin 1990, la jeune démocratie roumaine mise à l’épreuve
Plus de trois décennies se sont écoulés depuis le moment le plus sombre de l’histoire de la Roumanie post-communiste et le pays ne réussit toujours pas à identifier et à punir les responsables de cette action. Il y a trois ans déjà, la Haute Cour de Cassation et de Justice renvoyait le dossier de la descente des mineurs sur Bucarest les 13 au 15 juin 1990 et demandait que le réquisitoire soit refait. Le dossier a été instruit par les procureurs militaires qui avaient terminé leur enquête en 2017 et déféré à la justice 14 personnes. Les vedettes du lot étaient l’ex-président du pays, Ion Iliescu, nonagénaire aujourd’hui, le premier ministre de l’époque, Petre Roman, son adjoint, Gelu Voican-Voiculescu, et le directeur des renseignements généraux de l’époque, Virgil Măgureanu. De l’avis des hommes de la loi, ceux-ci auraient organisé et directement coordonné l’attaque contre les protestataires installés place de l’Université au cœur de Bucarest, qui exprimaient pacifiquement leurs opinions politiques en contradiction pourtant avec la majorité qui soutenait le pouvoir politique de l’époque.
Bogdan Matei, 14.06.2022, 13:07
Ce fut le 20 mai 1990, cinq mois après l’écroulement de la dictature communiste de Nicolae Ceusescu qu’un de ces anciens ministres des années 1970, Ion Iliescu, un des leaders de la Révolution de décembre 1989 était carrément plébiscité lors du premier scrutin présidentiel libre, qu’il avait remporté avec 85% des voix. Son parti, un mélange hétérogène de révolutionnaires authentiques et d’apparatchiks de deuxième rang, s’était adjugé à son tour deux tiers des voix au Parlement.
La place de l’Université de Bucarest, occupée dès le mois d’avril par les étudiants qui avaient proclamé une zone libérée du néocommunisme était désormais vide, puisque la vaste majorité des protestataires avaient accepté le verdict sévère des urnes. Au lieu de plusieurs dizaines de milliers de Roumains exubérants et pacifiques se trouvaient quelques dizaines de grévistes de la faim, qui semblaient être incapables de continuer leurs vies à l’extérieur de la Place. Leur évacuation par la police la nuit du 13 juin s’est réalisée avec une force disproportionnée, similaire à celle utilisée durant la révolution de décembre 89. Il n’est toujours pas clair si les personnes qui ont mené des combats de rue le lendemain contre la police et qui ont pénétré les sièges du ministère de l’Intérieur et de la télévision publique étaient vraiment issus de la Place de l’Université. Ion Iliescu et ses proches les ont qualifiés de partisans de la Légion de l’archange Michel soit l’extrême droite d’avant la Seconde guerre mondiale. Même si l’armée avait rétabli l’ordre, les responsables de l’époque ont appelé la population à descendre dans les rues pour sauver la « démocratie en danger ».
Parmi eux, les mineurs de la Vallée du Jiu, dans le centre ouest du pays. Les 14 et 15 juin ils se sont emparés de la Capitale où ils se sont substitués aux autorités de l’Etat. Le bilan : 1 300 blessés, un millier de personnes abusivement arrêtées et au moins six morts. L’immeuble de l’Université de Bucarest a été dévasté, tout comme les sièges des parti politiques d’opposition et les rédactions des quotidiens indépendants. La Cour européenne des droits de l’Homme a émis une décision qui imposait à la Roumanie de poursuivre les investigations dans ce dossier. Et pourtant, même l’ancienne procureur générale Laura Codruta Covesi a avoué que l’enquête visant la descente des mineurs sur Bucarest avait compté parmi les grands échecs du Parquet roumain.