Synthèse des événements intérieurs de 2017
Deux gouvernements, même majorité, unique obsession : la justice.
Ştefan Stoica, 06.01.2018, 15:20
2017 a été l’année de l’installation au pouvoir du cabinet Sorin Grindeanu, formé par le Parti Social-Démocrate (PSD) et l’Alliance des libéraux et des démocrates (ALDE). Ce fut en même temps l’année de sa chute, par motion de censure, introduite – notons-le bien – par la majorité, pour punir l’insoumission politique du premier ministre vis-à-vis de l’homme fort du PSD, Liviu Dragnea. Durant la seconde moitié de l’année, Mihai Tudose occupe le fauteuil de Sorin Grindeanu. En s’adressant, en janvier, aux membres du cabinet Grindeanu, le président de la République, Klaus Iohannis, leur disait : « J’attends que vous fassiez de votre mieux pour soutenir une justice indépendante en Roumanie ». Exhortation prémonitoire : le cabinet inaugurait pratiquement son mandat par le fameux décret gouvernemental qui modifiait la législation pénale portant l’abus de fonction, ce qui aurait innocenté – fortuitement ou pas – certains hommes politiques, dont Liviu Dragnea, se trouvant dans le viseur des procureurs anticorruption. Pourtant, ce décret a déclenché les plus amples protestations postcommunistes en faveur de la justice et contre le PSD. Le décret est retiré et son initiateur, Florin Iordache, devenu la cible favorite des protestataires, quitte le fauteuil de ministre de la Justice. Grindeanu s’en va, Tudose prend sa place et la guerre de la justice est assumée par le Parlement, avec le même Iordache au premier plan. Sans se soucier des protestations quasiment quotidiennes, la majorité parlementaire PSD – ALDE, avec le concours de l’Union démocratique des Magyars de Roumanie (UDMR), adopte, peu avant les fêtes de fin d’année, un paquet de lois visant le statut des magistrats, l’organisation des structures judiciaires et le Conseil supérieur de la magistrature (CSM). Ce fut peut-être le processus législatif le plus rapide et le plus controversé de l’histoire du parlement roumain. Par ce tour de force, le pouvoir neutralise l’opposition de droite, ignore les craintes exprimées par les partenaires étrangers de la Roumanie et, surtout, les critiques formulées par les principales institutions du domaine judiciaire et par les associations des magistrats. Situation sans précédent, à Bucarest et dans d’autres villes de Roumanie, des juges descendent devant les tribunaux pour manifester leur mécontentement. Les ambassades de 7 Etats de l’UE n’ont pas caché leur inquiétude que les nouvelles lois pourraient porter atteinte à l’indépendance de la justice et à la lutte contre la corruption. La Haute Cour de Cassation et de Justice et le Parti national libéral (PNL) contestent la conformité avec la Constitution d’une partie de ce paquet législatif. Les prévisions les plus controversées concernent la responsabilité des magistrats en cas d’erreur judiciaire, le rôle diminué du président de la République dans la désignation du Procureur général et des chefs des Parquets anticorruption et antimafia, ainsi que la création d’un département spécial chargé d’investiguer les magistrats. Le pouvoir défend ces lois, affirmant qu’elles mettent de l’ordre dans le système judiciaire et limitent les risques d’abus.
Salaires, économie, fiscalité
La loi de la grille unitaire des salaires dans le secteur public, promise par le PSD durant la campagne électorale 2016, se concrétise vers la moitié de l’année 2017. Promue par ses initiateurs comme un moyen de mettre de l’ordre dans le système chaotique des salaires, en place depuis des années dans le secteur public, cette loi est néanmoins critiquée, certains syndicats affirmant qu’elle n’élimine pas les écarts salariaux. La même loi prévoit des majorations importantes des revenus du secteur public. Le risque d’un déséquilibre budgétaire majeur est grand; aussi, le gouvernement a-t-il décidé de transférer à la charge de l’employé une partie des contributions sociales payées jusqu’ici par l’employeur. Résultat : les revenus réels des salariés du secteur public augmentent – si encore – de quelques points seulement. Dans le milieu privé, ils vont baisser si les patrons n’augmentent pas les salaires bruts pour compenser la majoration des contributions payées dorénavant par les salariés. Salariés et patrons, tout le monde – à l’exception du pouvoir – critique donc la prétendue révolution fiscale. Les maires se déclarent, à leur tour, mécontents, vu que le nouveau code fiscal prévoit une diminution de l’impôt sur le revenu, ce qui entraînera une diminution des recettes des budgets locaux. Aux débats sur la loi des salaires et sur les changements fiscaux s’ajoute un autre, sur la croissance économique d’environ 6% qui situe la Roumanie sur la première place parmi les Etats de l’UE. Les experts craignent pourtant qu’une croissance économique fondée essentiellement sur la consommation de produits d’importation ne soit pas saine et qu’elle doive être soutenue par des investissements publics.
Mort du roi Michel Ier
Le 5 décembre 2017, le dernier souverain de la Roumanie, le roi Michel Ier, s’éteignait en Suisse, à l’âge de 96 ans. Le 16 décembre, sa dépouille rapatriée est ensevelie dans la nécropole royale de Curtea-de-Argeş, dans le sud du pays, aux côté de son épouse, la reine Anne, décédée une année auparavant et non loin de ses prédécesseurs, les rois Carol Ier, Ferdinand et Carol II. Des représentants des grandes monarchies européennes participent aux funérailles nationales. Des dizaines de milliers de personnes passent devant le catafalque du roi Michel, honorant cette personnalité politique exemplaire par son dévouement envers son pays. Spectateurs involontaires de la prestation publique d’une classe politique incompétente et immorale, les Roumains comprennent qu’avec la mort du roi, les réserves de dignité du pays diminuent de manière dramatique et que, pour cette raison, sa disparition est irrécupérable.
2017 a été une année compliquée. Le pouvoir de gauche a gouverné, au nom de la majorité, à présent muette, qui l’a votée en 2016 et qu’il a toujours invoquée lorsque les mesures adoptées, notamment dans le domaine de la justice, ont été farouchement contestées par des protestataires descendus dans la rue, par l’opposition et par le président de la République, par les institutions visées et par les principaux partenaires étrangers de la Roumanie. Des commentateurs indépendants ont évoqué, de nouveau, en 2017, la manière non-transparente, frisant l’abus, dont la majorité parlementaire a imposé ses projets de loi. La grossièreté et l’invective sont devenues des instruments législatifs informels. Le Parlement est demeuré, en 2017, institution de l’Etat la moins crédible et la plus impopulaire. L’année 2018 ne s’annonce pas plus facile. Selon les mêmes commentateurs, après avoir modifié les lois de la justice pour exercer un contrôle politique du système judiciaire, les représentants du pouvoir tâcheront d’opérer des modifications dans le Code Pénal et de procédure pénale pour diminuer la capacité des gens de loi de combattre efficacement les infractions. 2018 sera-t-elle une année de la Roumanie sans loi ? Peut-être pas. Mais elle sera, sans aucun doute, la première année de la Roumanie sans Roi. (Aut. : Ştefan Stoica ; Trad. : Dominique)