Il y a 34 ans, les Roumains luttaient pour la liberté
Nous remémorons les évènements déroulés du 16 au 27 décembre 1989 en Roumanie.
Alex Diaconescu, 26.12.2023, 07:18
Cela fait 34 ans déjà, que chaque décembre, en Roumanie, les préparatifs pour Noël coïncident avec la commémoration des héros de la Révolution anticommuniste roumaine de décembre 1989.
Rappelons-le, la Roumanie a été le seul pays du bloc communiste où le changement de régime s’est réalisé par la violence. C’est également le seul pays ex-communiste où, le dernier dictateur communiste, Nicolae Ceausescu, a été exécuté. Somme toute, lors des évènements de décembre 1989, un millier de personnes ont été tuées et 3000 ont été blessées, durant les combats de rue qui ont eu lieu avant mais aussi et surtout après la fuite de l’ex-dictateur communiste depuis toit du Comité Central de Bucarest, un moment considéré par le grand public comme la fin de son régime. Depuis, chaque année, les responsables de l’Etat et les participants à ces événements font un véritable pèlerinage aux endroits emblématiques de la Révolution anticommuniste roumaine. Cette année, les commémorations ont été plus discrètes que celles des années précédentes.
Néanmoins, les débats entre historiens, experts militaires, spécialistes en droit et participants aux événements de 1989 ont repris avec presque les mêmes questions : ce fut une Révolution ou un coup d’Etat ? Qui a renversé effectivement le régime ? Qui a eu le rôle déterminant : l’armée et les forces de répression qui ont décidé de ne plus défendre Ceausescu ou l’héroïsme des révolutionnaires ? Ce furent les Roumains à renverser le régime ou bien celui-ci fut l’œuvre des services secrets étrangers ? Qui a tué les Roumains descendus dans la rue pour crier « Liberté ! » ? Autant de questions qui refont surface presque chaque année en décembre en Roumanie.
16 décembre 1989 – Une révolte populaire éclate à Timisoara
Normalement, les cérémonies démarrent le 16 décembre à Timisoara. De nombreux événements en lien avec la Révolution se sont déroulés cette année à dans cette ville martyre de l’ouest de la Roumanie : expositions, projections de films, débats, marches le long de l’itinéraire des révolutionnaires et la liste n’est pas terminée. Et pour cause.
C‘était le 16 décembre 1989, à Timisoara qu’une manifestation de solidarité avec le pasteur réformé Lazslo Tökes, qui allait être évacué de sa maison, s’est transformée en une révolte populaire.
Le prêtre était ainsi puni par les autorités pour ses commentaires critiques à l’adresse du régime dans les médias internationaux. Aux quelques fidèles rassemblés devant sa maison sont venus s’ajouter des dizaines, puis des centaines d’habitants de la ville qui ont crié pour la première fois « A bas Ceausescu ! ». Les manifs s’amplifièrent dans les jours à venir, tout comme les heurts entre les forces de l’ordre – milice, troupes anti-émeute, Securitate et armée – et les protestataires. Une présence militaire massive fut mise en place à Timisoara et des centaines de personnes furent blessées et même tuées par balles les 17, 18 et 19 décembre.
Le 20 décembre 1989 – Timisoara devient première ville roumaine libérée du communisme
Puis, le 20 décembre, une centaine de milliers de protestataires se sont installés Place de l’Opéra, toujours à Timisoara, pour proclamer des slogans anticommunistes. Face à une telle présence massive des protestataires et vu l’incapacité du régime de rallier à ses côtés les ouvriers des usines de la ville, les forces de l’ordre se retirent et Timisoara devient première ville roumaine libérée du communisme.
Face à cette défaite évidente, Nicolae Ceausescu demanda l’organisation d’un grand rassemblement populaire à Bucarest sur la place devant le siège du Comité central du Parti communiste roumain pour montrer justement la popularité de son régime, qui fut diffusé en direct par la télévision.
Normalement ces rassemblements étaient préparés plusieurs mois d’avance. Après quelques minutes le discours du dictateur fut interrompu par un événement très controversé, un moment qui a suscité d’amples débats entre historiens de nos jours encore. Des pétards se firent entendre et les hauts parleurs commencèrent à diffuser un enregistrement étrange, des hurlements. La foule effrayée commença à courir vers les sorties de la place alors que Ceausescu fut obligé d’interrompre son discours, le tout en direct, à la télévision d’Etat et à la radio publique. C’est à ce moment-là que les Roumains ont eu la possibilité de voir une première faille dans le régime communiste, en voyant le visage pétrifié du dictateur Nicolae Ceausescu.
Le bilan sanglant de la nuit du 21 au 22 décembre 1989
De nos jours encore, les avis sont partagés au sujet de cet épisode : on a évoqué la présence de quelques révolutionnaires de Timisoara ainsi qu’une erreur de la part des organisateurs, tout comme d’autres théories plus ou moins prouvées. Jusqu’au soir les Bucarestois ont investi le centre-ville et notamment la place de l’Université et des combats avec les forces de l’ordre commencèrent. Le bilan de la répression massive déroulée dans la nuit du 21 au 22 décembre est lourd : 50 morts, 462 blessés et 1 245 personnes arrêtées. A l’aube les services de salubrité nettoyaient le centre-ville et notamment le sang coulé sur le pavé. Ce sont ces martyrs qui ont été commémorés le 21 décembre 2023 au monument érigé sur la place de l’Université.
« Les jeunes doivent savoir que la liberté dont ils jouissent aujourd’hui a été payée par la vie de milliers de héros », a déclaré le Premier ministre Marcel Ciolacu.
Dans un message, il a souligné que la Révolution roumaine de décembre 1989 a été le moment où l’idéal de liberté a vaincu la terreur fortement implantée au sein de la population.
Le 22 décembre 1989 – Ceausescu perd son pouvoir de commandant suprême
Retour en 1989 et plus précisément le 22 décembre lorsque les ouvriers de toutes les grandes usines bucarestoises descendent dans la rue et obligent les chefs de l’armée d’ordonner aux troupes de se retirer dans les casernes et Nicolae Ceausescu de quitter le Comité central à bord d’un hélicoptère. C’est à ce moment-la que Ceausescu perd son pouvoir de commandant suprême. Le vide de pouvoir est remplacé par le chef de l’armée et puis par les révolutionnaires du Conseil du Front du Salut National, organisés autour d’Ion Iliescu, qui aura plusieurs mandats présidentiels après la chute du régime. Pourtant ce n’est pas la fin des violences, puisque les combats se poursuivent et s’amplifient le 23 décembre. Certains chercheurs affirment que ces combats s’étaient déroulés entre les révolutionnaires et l’armée, d’un côté, et les fidèles de l’ancien régime, agents de la Securitate appelés génériquement « terroristes » de l’autre. Mais selon les procureurs qui s’occupent encore du dossier de la Révolution, tous les événements qui se sont enchainés après la fuite du couple dictatorial auraient fait partie d’un plan concerté visant à faire des victimes afin de conférer davantage de légitimité au nouveau pouvoir.
Le 24 décembre 1989 – La révolution se répand dans tout le pays
Le 24 décembre, Bucarest et presque toutes les autres grandes villes roumaines sont en guerre. D’ailleurs la plupart des décès ont été enregistrés après la fuite de Nicolae Ceausescu le 22 décembre. Le couple dictatorial Elena et Nicolae Ceausescu est capturé, jugé dans le cadre d’un procès sommaire et exécuté le jour de Noël à Târgoviste. Les combats s’apaisent, même si les tirs sporadiques se poursuivent jusqu’au 27 décembre. De nombreux épisodes ensanglantés ont eu lieu ces jours-là, avec plusieurs cas de tirs fratricides entre différentes forces de l’armée.
Décembre 2023 – Le dossier de la Révolution n’est toujours pas finalisé
Toutes les victimes de la Révolution roumaine ont fait l’objet d’un immense dossier qui a fait des aller-retours ces dernières années entre le Parquet militaire et la Haute cour de cassation et de Justice. Après 33 ans de formalités, l’instance suprême a décidé en janvier dernier qu’elle n’était pas en mesure de juger le dossier, puisque Ion Iliescu, le principal accusé n’était pas chef de l’Etat au moment des faits. Le dossier fut renvoyé à la Cour d’appel qui a décidé que les personnes inculpées peuvent être poursuivis en Justice. Selon les procureurs, « le groupe autour d’Ion Iliescu, ex-membre de la nomenklatura communiste, avait agi avec habileté et efficacité dans ses efforts d’accaparer le pouvoir politique et militaire en décembre 1989 ». Conformément aux procureurs, tout le territoire de la Roumanie a été la scène d’une ample, systémique et complexe action militaire de désinformation et de manipulation, unique dans l’histoire nationale. Ces faits ont eu comme conséquence la psychose du terrorisme qui a été semée et amplifiée au point de causer la mort d’un nombre important de personnesLa théorie des procureurs suscite toujours des débats parmi les historiens et les chercheurs. Certains la soutiennent, d’autres la contestent. D’autres encore arrivent à changer d’avis en parcourant de nouvelles preuves et témoignages qui apparaissent toujours plus de 30 après les faits.
Le début de la transition démocratique
Somme toute, les événements de 1989 ont mené à un changement radical de la Roumanie, qui s’est engagée à partir de ce moment sur le long chemin de la transition démocratique. « Défendre la démocratie quotidiennement est la meilleure manière d’honorer la mémoire de ceux qui ont rêvé d’une Roumanie européenne, de par ses valeurs et sa prospérité, et ont souffert pour cet idéal. N’oublions jamais le sang versé à la Révolutions en honorons toujours le sacrifice fait au nom de la liberté ! » a posté sur Facebook ce 22 décembre le président roumain, Klaus Iohannis. Des paroles particulièrement importantes alors que selon les sondages, près de la moitié de Roumains ont actuellement une bonne opinion sur le régime communiste et que l’année prochaine la Roumanie organisera toutes les élections possibles.