Jean Pangal
Pour les sociologues, Jean Pangal est un créateur de réseaux sociaux, à lintérieur desquels ce genre dindividus mobilise et booste les énergies des autres.
Steliu Lambru, 18.02.2024, 09:30
Des personnages pittoresques, non
conformistes et plus ou moins inventifs, l’on retrouve dans toute communauté
humaine. L’histoire de la Roumanie a retenu le nom d’un tel personnage :
l’avocat, homme politique et diplomate Jean Pangal, que ses biographes
décrivent comme un des grands maîtres des malversations. Pour les sociologues,
il est un créateur de réseaux sociaux, à l’intérieur desquels ce genre
d’individus mobilise et booste les énergies des autres.
Jean
Pangal est né en France, à Nice, en 1895 et il est mort à Lisbonne au Portugal,
en 1950. Fils d’une famille de la petite et moyenne noblesse terrienne, il fait
des études de droit à l’Université de Iași et il est un partisan de l’entrée de
la Roumanie dans la Grande guerre aux côtés de la France, du Royaume Uni et de
la Russie. A la fin de la première conflagration mondiale, lorsque la Roumanie
s’unit avec la Bessarabie, la Bucovine, le Banat et la Transylvanie et entame
des réformes substantielles, une nouvelle génération de Roumains se lance dans
l’arène politique. Le vote universel et la réforme agraire sont les deux
nouveaux horizons ouverts devant eux. Journaliste durant la guerre, Pangal
adhère à la doctrine agrarienne et il commence à occuper des fonctions
politiques dans la bureaucratie d’État à partir des années 1920. Il est élu
député au Parlement de la Roumanie entre 1927-1928 et 1931-1932 ; il est
nommé sous-secrétaire d’État chargé de la presse et de l’information en
1931-1932. Il rejoint ensuite le corps diplomatique et il est nommé ministre
plénipotentiaire d’abord en Espagne entre 1938 et 1939, et ensuite au Portugal
entre 1939-1940. Constantin Argetoianu, président, entre autres, du parti de
l’Union agraire, a été son mentor. Comme tant d’autres personnages publics de
son temps, Jean Pangal a adhéré à la franc-maçonnerie roumaine, dont il
détenait largement le contrôle.
Le
sociologue Bogdan Bucur, biographe de Jean Pangal, a découvert dans les
archives 474 notes informatives signées par le secrétaire de Pangal, Gheorghe
Chintescu, et adressées aux services de renseignement: « Ce sont des
documents extraordinaires parce qu’ils nous permettent d’apprendre, dans le
détail, le déroulement et le contenu des conversations de Pangal. Il n’y a
aucune autre source concernant le contenu des conversations de Jean Pangal avec
le roi Carol II et avec Mme Elena Lupescu, la maîtresse royale. Il nous est
impossible de connaître le quotidien et les actions d’une partie de l’élite
politique, diplomatique, maçonnique roumaine et étrangère, vivant à ou étant de
passage à Bucarest. Cette action méphistophélique et moralement équivoque du
Service spécial de renseignement, dirigé par Moruzov, de recruter Chintescu, produit
des conséquences extrêmement importantes pour nous, aujourd’hui. »
Les
lecteurs de la biographie de Pangal sont étonnés par sa capacité à se faire des
amis dans tous les cercles de la société et à être puissant sans faire partie
du pouvoir. Bogdan Bucur a analysé avec les moyens de la sociologie les
significations du comportement de Jean Pangal: « En m’appuyant
sur ces détails liés aux interactions de Jean Pangal et sur des logiciels
spécialisés, j’ai analysé les réseaux sociaux développés par Jean Pangal. Il y
avait un réseau personnel et j’ai mesuré la fréquence de ses rencontres avec
divers personnages lors des réunions politiques. Les notes informatives sont
tellement détaillées que nous sommes en mesure de reconstituer son réseau de
pouvoir, son réseau d’influence. De nombreux entretiens de Pangal avec le roi
ne sont pas mentionnés, car non-officiels. Nous apprenons, par exemple, la
fréquence des rencontres de Pangal avec différents personnages aux réunions maçonniques.
Il pouvait y rencontrer Gheorghe Bibescu, grand maître de la Grande Loge
nationale de Roumanie, un franc-maçon important, certes, mais pas aussi
important que Pangal, et les deux pouvaient parler du roi ou du développement
de l’aéronautique, le prince ayant été un pionnier de l’aviation. Ou bien, ils
auraient pu avoir un échange sur les origines nobles. Pangal pouvait donc avoir
trois conversations sur trois sujets différents avec le même personnage. »
Accepté dans l’entourage du
roi Carol II, Pangal est l’auteur du projet de la Constitution de 1938 qui
allait instaurer le régime autoritaire du souverain. Monarchiste devant le roi,
anti-carliste en compagnie des membres de la Garde de fer, libéral avec
les libéraux, il disait à chaque interlocuteur ce que celui-là voulait entendre.
Grâce à ses recherches dans les archives, Bogdan Bucur nous a dévoilé l’une des
idées les plus farfelues de Pangal: « Il a eu un projet
impensable, d’une inventivité démoniaque, donc également intelligent, à savoir
de rassembler la franc-maçonnerie et la Ligue de la Défense
national-chrétienne, une organisation fasciste. C’était une aberration. Il
prétend être le chef d’une maçonnerie nationale et profite du moment historique
pour accuser l’autre obédience concurrente d’être une maçonnerie
internationale, non roumaine et donc non patriotique. Il ne chasse pas vraiment
les autres de la maçonnerie, mais il a tout de même essayé de le faire avec les
citoyens roumains d’ethnie juive. La maçonnerie roumaine de Jean Pangal se
voulait roumaine à cent pour cent, ce qui était une aberration en soi. »
La
fin de la guerre convaincra Jean Pangal de prendre l’une des peu nombreuses
décisions honorables de sa vie: il refuse d’être complice à l’instauration du
communisme en Roumanie et s’exile au Portugal de Salazar. (Trad. Ileana Ţăroi)