Franz Binder
Cet explorateur audacieux du XIXème siècle a laissé en héritage à la communauté locale une collection d'objets africains, gérée à présent par le Musée ASTRA de la ville de Sibiu.
Steliu Lambru, 24.12.2023, 15:46
La fascinante histoire des explorateurs et de leurs voyages, qui nous ont fait connaître notre planète, contient aussi des noms d’explorateurs roumains ou ayant habité sur le territoire actuel de la Roumanie. Parmi eux l’on retrouve celui de Franz Binder, originaire de la ville allemande de Sebeș, en Transylvanie, la province de l’ouest de la Roumanie actuelle. Cet explorateur audacieux du XIXème siècle a laissé en héritage à la communauté locale une collection d’objets africains, gérée à présent par le Musée ASTRA de la ville de Sibiu.
Radu Totoianu, muséographe au Musée municipal « Ioan Raica » de Sebeş, nous aide à voir le monde à travers le regard de celui qui a ouvert des routes africaines : « Franz Binder est né à Sebeș en 1820, dans une famille de pharmaciens. Lui aussi fait des études de pharmacie à Sibiu, mais sans pratiquer la profession. Il préfère se lancer dans le commerce, ce qui l’emmène jusqu’à Istanbul, la porte de l’Orient à l’époque. A partir de là, il suit les traces d’un demi-frère, qui avait rejoint l’armée égyptienne, allant jusqu’en Syrie pour le retrouver. Arrivé à Alep, Franz Binder descend le Tigre en radeau, il s’arrête en Palestine, où il visite, entre autres, les lieux saints. Il atteint, enfin, la ville égyptienne d’Alexandrie et, puisqu’il manque de ressources financières, il enchaîne les petits boulots: porteur dans le port, travailleur dans une brasserie, tailleur de placage dans l’atelier d’un ébéniste, aide-pâtissier dans une pâtisserie et ainsi de suite. »
Binder poursuit sa vocation, gagner de l’argent et rencontrer l’inconnu, raconte Radu Totoianu : « Là, il ramasse de l’argent et remonte le Nile à bord d’un bateau. Il arrive ainsi à Khartoum, actuelle capitale du Soudan, mais à l’époque une partie du Soudan d’aujourd’hui avait un statut de colonie autrichienne, et il s’y fait embaucher par une compagnie commerciale. C’est en cette qualité qu’il dirige plus vingt caravanes en train de traverser le désert de Nubie. En 1860, Franz Binder, diplômé d’université et citoyen de l’empire, est nommé vice-consul de Vienne à Khartoum. Cette fonction, qu’il occupe jusqu’en 1862, l’oblige à chercher et identifier de nouvelles opportunités commerciales, ainsi qu’à explorer des zones et saisir y compris de nouveaux territoires pour la colonie. »Le monde profond africain était inconnu de l’Europe à l’époque de Binder, or son voyage, étendu sur près de deux décennies, l’a emmené loin à l’intérieur de la zone occidentale de l’Afrique. Radu Totoianu nous donne de nouveaux détails. Track 3: « Imaginons qu’à l’époque, ce que l’on savait de l’Afrique était ses contours, même si elle déjà était connue depuis le XVIème siècle. L’intérieur du continent était une immense tache blanche, une réalité que Binder lui-même notait dans ses mémoires, publiées par un de ses petits-fils à l’entre-deux-guerres. Durant ses expéditions aux sources du Nile, il est entré en contact avec des tribus inconnues de tout Européen ou Turc à ce moment-là. C’étaient les tribus jur beli, azande ou nyam nyam, nuer, avec lesquelles il entretient des relations commerciales et qu’il appuie même dans certains conflits locaux. »
De retour en Europe, en terre natale, Franz Binder, âgé de 42 ans, fait en sorte que sa vie africaine reste présente autour de lui, raconte Radu Totoianu : « A Sebeș, il achète au centre-ville, en face du parc de la mairie et de la place centrale de la ville à l’époque, une maison qu’il décore de bas-reliefs en pierre représentant des scènes de son voyage. Nous pouvons y voir, entre autres, le Sphinx, les pyramides, le temple de la déesse Isis, érigé sur l’île de Philae, et même, sous la corniche de l’immeuble, une frise qui montre une caravane traversant le désert de Nubie, qu’il avait lui-même traversé des dizaines de fois. Nous pouvons y apercevoir aussi des chameaux et un personnage à cheval, qui est en fait Franz Binder en train de diriger la caravane. »
Après de longues et fatigantes pérégrinations, l’explorateur a voulu partager son expérience africaine à travers de conférences publiques, ajoute Radu Totoianu : « Il a tenu de telles conférences dans plusieurs villes de Transylvanie, où il a aussi présenté sa collection, riche de 350 objets. Mais il était revenu malade d’Afrique, où il avait très probablement attrapé la malaria, qui y faisait ravage à cette époque-là. Il quitte Sebeș et s’installe à Vurpăr, près de Vințul de Jos, sur la rive du Mureșului, où il s’achète un petit domaine qui lui fournit les moyens de vivre. Dès son vivant déjà, il fait don de sa collection : 104 objets au collège évangélique de la commune, des objets qui ont rejoint le patrimoine de notre musée après la fermeture du collège, et puis la plus grosse partie de la collection est allée à la Société des sciences de la nature de Sibiu. »
En 1875, quand il n’avait que 65 ans, le voyage terrien de Franz Binder a pris fin. Il a laissé derrière lui des mémoires et des objets pour les générations futures, l’héritage d’un vainqueur de l’inconnu. (Trad. Ileana Ţăroi)